Robert Pope cours toujours
Vous connaissez sans doute Forrest Gump, ce personnage incroyable joué par Tom Hanks dans le film éponyme de 1994. Mais avez-vous entendu parler de Robert Pope, le premier homme à avoir réalisé son exploit “en vrai” ? Marathons.com a eu la chance de rencontrer cet homme incroyable et chaleureux qui n’attend qu’une chose : repartir pour un trip mémorable.
Quand on découvre pour la première fois la carte du voyage en courant réalisé par Robert Pope, on est d’abord stupéfait. Comment un homme peut seulement penser réaliser un tel parcours ? 422 jours de runs au natif de Liverpool ont été nécessaires pour atteindre son but et reproduire la performance fictive de Forrest Gump. Incroyable. Quand tout s’est arrêté, comme dans le film de Robert Zemeckis oscarisé à six reprises, il était suivi d’une bande de coureurs inspirés par ses foulées infinies. Il s’est retourné et a laissé échapper de sa longue barbe la phrase mythique “i’m pretty tired, i think i’ll go home now”. On le serait à moins, les superlatifs manquent devant les 25 000 kilomètres parcourus (60 km par jour en moyenne) entre Atlantique et Pacifique. Une épopée incroyable qui a débuté en septembre 2016 et s’est achevée en mai 2018.

| “J’ai vu la porte de derrière s’ouvrir et je suis rentré”
Comment cette idée folle a pu naitre chez Robert Pope, cet anglais né dans le nord de l’Angleterre en 1978 ? Une question de caractère et une histoire de femmes. Il y en a d’abord deux très importantes dans la vie de Rob’ : sa maman, décédée en 2002, et Nadine, sa femme, qui l’a toujours supporté dans son rêve. Si Robert est devenu si assidu à la course à pied, c’est en voulant rattraper l’ombre de sa maman : “Je pense que ma passion du running vient d’elle. C’était une travailleuse courageuse : mère célibataire, elle travaillait à l’hôpital, elle faisait souvent des tours de nuit. C’était aussi et surtout une athlète quand elle était jeune. Elle faisait du tennis et avait le niveau pour être internationale en sprint. Un jour, elle a fait une mauvaise chute dans ces fameux bus à double étage. C’était juste avant des championnats européens juniors si mon souvenir est bon… Cette blessure a mis fin à ses ambitions sportives. Mais elle me répétait souvent qu’elle était une bonne coureuse (sourire). Elle ne n’a jamais forcé à quoi que ce soit. Elle ne m’a jamais forcé à faire un truc que je ne voulais pas faire. On a tous les deux été à New York en 1997 et 1998 pour le marathon. Elle en tant que spectatrice, moi en tant que coureur. C’est resté un souvenir très fort. Cette ville est spéciale pour nous deux. Elle m’a vu me diplômer en tant que vétérinaire en Angleterre mais n’a pas vu mon premier jour de travail à Liverpool. J’ai bougé en Australie 10 ans après son départ. Elle ne m’a donc pas vu partir”.

Là-bas, Robert Pope devient… Champion national de Marathon ! Humble, ce fan de Liverpool se rappelle : “Gagner les championnats de marathon là-bas a été dingue. Mais cette histoire est bien plus impressionnante sur le papier qu’en réalité. Ce n’était pas non plus une blague, mais disons que j’ai été chanceux. Tous les favoris étaient ailleurs ! Les meilleurs australiens couraient à Berlin ou à Chicago ce jour là. J’ai vu la porte de derrière s’ouvrir et je suis rentré ! Et je reste très fier de mon temps ce jour-là (ndlr, 2h27) !” Cette histoire de “porte de derrière”, c’est peut-être l’histoire de Robert, et elle en est d’autant plus belle et inspirante. Car si aujourd’hui ce type de performances est de plus en plus recherché et planifié, le run de Robert est placé sous le signe d’un seul mot, authenticité, revenu plusieurs fois durant l’entretien. Robert a tout fait “à la main”. Ici pas d’équipe pour le suivre, l’aider, le prendre en charge. L’aventure, la vraie. Son regard, si touchant, semble encore délavé de la beauté et des épreuves vécues pendant cette année et demie.

Seule Nadine était à ses côtés durant une partie de la course. Elle a dû rentrer en Angleterre plusieurs fois au cours du séjour : pour des raisons financières d’abord, puis parce qu’elle attendait une petite fille, qui a vu les 300 derniers kilomètres de son incroyable papa. Et si Robert veut repartir aujourd’hui, c’est aussi pour elle, la troisième femme de sa vie : “J’ai ce dilemme énorme : plus mon prochain défi sera grand plus je serai loin d’elle longtemps. Si mon prochain tour doit être énorme, il faut que le sens le soit aussi. Ma fille a 7 ans. Elle raconte à tout le monde à l’école que son papa a traversé les États-Unis en courant, que je l’ai fait 5 fois, que son papa est connu (rires) !”. Et les yeux de Robert de s’illuminer comme ceux d’un enfant quand il évoque sa fille.
| Robert Pope, la philosophie en courant
L’épisode du retour forcé de Nadine a été un des plus douloureux du voyage pour Robert. Un voyage qui aurait pu s’arrêter au milieu du guet : “Dire au revoir à Nadine à Nashville a été un des moments les plus durs du voyage. Ça a été très dur. Elle s’en est allée car nous n’avions plus de ressources financières. Et je m’étais blessé au quadriceps une semaine auparavant. Je ne pouvais même plus marcher 30 mètres. Mais je suis allé de l’avant et j’ai résolu mes problèmes en continuant. Si j’avais attendu là où j’étais pour résoudre mes problèmes, d’autres seraient arrivés (sourire). Si j’avais eu des fonds, une équipe, tout aurait été plus simple. Mais je n’aurais pas vécu la même chose. C’aurait été une autre aventure, pas celle que j’ai eu”. On retrouve ici la philosophie en mouvement de Robert : toujours respecter ses rêves et aller jusqu’au bout. Au retour d’Australie, tout s’est accéléré : “Je suis revenu en 2016 en Angleterre car j’avais une offre de travail en tant que vétérinaire. Malheureusement la réalité de ce travail était bien pire que mon rêve. C’était très orienté vers l’argent, faire les plus grosses factures possibles, cette logique là… Ce n’était pas moi. Ma femme a quitté son travail en premier et m’a encouragé : “c’est ta chance de réaliser ton run. Quitte ton travail et fais-le.” Les grandes décisions viennent des deux femmes les plus importantes de ma vie (sourire)”. Je me considère naturellement comme une personne fainéante. Mais une fois que j’ai décidé quelque chose, tant que je suis capable physiquement de le faire, je veux faire du mieux possible. Je déteste mal faire les choses. Pour travailler dur j’ai besoin d’un objectif fort. J’aime aller au bout des choses, et le faire avec ma propre philosophie. Mon trip n’a pas été parfait loin de là, j’ai été déçu par exemple de ne pas avoir récolté plus de fonds. Mais la façon dont ça s’est déroulé a été parfaite”.

L’idée de traverser les États-Unis est depuis longtemps ancrée en Robert, fasciné notamment par la lecture du livre “Running Across America” de Nick Baldock, avec qui il avait échangé par mail à l’époque. En Australie, l’idée a pris de la force quand il est tombé sur les exploits d’un coureur qui avait réalisé une traversée des États-Unis sans toutefois recréer la performance de Forrest Gump. “Quand j’ai réalisé que ce n’était pas l’exact reproduction, l’idée a pris de la vitesse. J’ai d’abord pensé le débuter le 1er janvier 2017. Puis j’ai lu un article sur un anglais qui avait l’idée de le refaire en partant le 1er octobre 2016. Je me suis demandé pourquoi cette date. J’ai lu dans l’article que c’était la date du départ de Forrest d’Alabama. J’ai fait mes recherches et c’était le 15 septembre. Je lui ai alors écrit et proposé de partir avec lui à la date du 15 septembre. Il m’a répondu avec fair-play qu’il voulait sa propre aventure, qu’il ne bougeait pas ses dates. Après cet échange j’ai commandé mes billets et en septembre, ma femme et moi partions pour l’Amérique. Tout en espérant que ce gars n’allait pas me rattraper (rires)”.
| Des souvenirs uniques
Personne n’a rattrapé Robert Pope durant son incroyable run. Un souvenir isolé parmi des milliers ? « C’était au début du voyage. On rentrait au Texas pour la première fois. Je courais sur une route dans le désert, au milieu d’une gorge entourée de falaises. On ne pouvait rien voir à part le haut de la colline en milieu de la roche. Quand je suis arrivé au haut, la gorge s’est effacée derrière moi et je me suis retrouvé face à cette gigantesque plaine qui était auparavant une ceinture maritime. Je me suis mis à crier « Teeeeeeeexas » car la vue était juste énorme. « What i am doing, this is crazy ! » J’avais ma musique en mode aléatoire à ce moment-là. J’avais 400 albums mais c’est encore une chanson de U2 qui tournait : « In the name of love » Un morceau épique ! It’s soooo good. (il me montre son bras) Cela me remet des frissons encore de repenser à ce moment incroyable« .
« Je courais sur une route dans le désert, au milieu d’une gorge entourée de falaises. On ne pouvait rien voir à part le haut de la colline en milieu de la roche. Quand je suis arrivé au haut, la gorge s’est effacée derrière moi et je me suis retrouvé face à cette gigantesque plaine qui était auparavant une ceinture maritime. Je me suis mis à crier “Teeeeeeeexas” car la vue était juste énorme. “What i am doing, this is crazy !«
Robert Pope
J’ai couru dans le Joshua tree national park. C’est l’endroit le plus spirituel où je suis allé. Tellement de fantômes, de beauté… J’ai écouté l’album Joshua tree de U2 en boucle dans le parc et dans la death valley, je suis tombé sur le vrai Joshua tree… Il penche beaucoup maintenant. Quelqu’un a déposé une plaque commémorative “Avez-vous trouvé ce que vous cherchez ?” (sourire). J’ai eu la chance de vivre un concert de U2 à Chicago pendant mon séjour, c’était super. Voir U2 dans la ville des Chicago Bulls dont je suis fan : wow !” Pour ceux qui aimeraient avoir plus de détails sur son run, l’anglais a publié “Becoming Forrest: One Man’s Epic Run Across America” en 2021. D’ailleurs quand on lui demande s’il a une préférence quant au site marchand sur lequel le commander, Robert, amoureux des librairies indépendantes, répond : “commande-le dans celle de ton quartier…”
La passion qui anime Robert est un monument en soi.
| Un geste de générosité pur

Quand il s’agit d’évoquer le sens collectif qu’il a voulu donner à son run solitaire, Robert compare sa réponse avec celle de Forrest Gump. Et pour une fois, elle diverge de celle du héros fictif : “quand il traverse le Mississippi les journalistes lui demandent pourquoi il court ? Courez-vous pour le droit des femmes, pour les sans abris, pour la paix dans le monde, pour l’environnement, pour les animaux ? Dans le film il répond juste “i just felt like running” (ndlr, j’ai juste envie de courir). Bien sûr, traverser les États-Unis, je l’aurais fait pour moi, pour rendre ma maman fière. Mais elle m’aurait dit que faire une chose pareille, ça doit être pour une raison. J’ai choisi Peace Direct et WWF. Vu le moment compliqué de l’histoire que nous vivons, entre crise écologique et guerres, je suis resté proche de ses associations. Je ne me résous pas à un monde fracturé. Une des choses les plus belles que j’ai expérimenté aux États-Unis, c’est la gentillesse des gens. C’est étrange d’un côté nous avons un président qui encourage à la guerre, alors que nous sommes autre chose. On est tous sur le même globe. J’ai parlé avec des républicains. J’ai parlé avec des démocrates. J’ai eu de belles discussions politiques et comme elles étaient en face à face, il y avait de la tolérance autour des différences. Pouvoir et argent corrompent ça. D’ailleurs, et tu peux le mettre dans l’article, j’ai voté non au Brexit, comme une majorité des habitants de Liverpool”. Un engagement que l’on sent sincère et qu’il aimerait prolonger “On l’a vu dernièrement à Malibu avec les feux ou ailleurs, la crise peut toucher tout le monde. C’est pour ça que j’ai envie de repartir. Le seul truc que je veux c’est porter ce message. “Pourquoi ce fou fait-il ça ?” peut-on se demander. Est-ce pour l’argent ? Non. Est-ce pour la gloire ? Non. C’est pour ces causes. Et ces dernières années je me suis senti trop impuissant”.
| On repart ? Direction l’Australie !
Car oui, vous l’aurez compris, Robert veut repartir. Ou plutôt continuer un run qu’il n’a jamais vraiment terminé. Une nouvelle chanson de U2 exprime son sentiment, Running to stand hill. La dernière réplique de ce morceau chantée par Bono est évocatrice : “She is running to stand still” (Elle court pour rester sur place)… “Je cours toujours je crois. Je ne pense pas que mon run soit terminé. Je ne désire pas qu’il se termine, même si je réalise que ma fenêtre de réalisation se réduit… Si ça arrive et que je ne repars pas, je serai en paix avec moi-même grâce à ce que j’ai déjà fait, même si j’en veux toujours plus. Je veux juste faire un dernier tour que ma fille sera capable de voir.
« Je ne pense pas que mon run soit terminé. Si ça arrive et que je ne repars pas, je serai en paix avec moi-même grâce à ce que j’ai déjà fait, même si j’en veux toujours plus. Je veux juste faire un dernier tour que ma fille sera capable de voir. »
Robert Pope

Je n’ai jamais traversé l’Australie et j’ai très envie de réaliser le même type de projet, toujours en solo. Je ne serai certainement pas le plus rapide à la traverser mais ce n’est pas important. En juin prochain, en Angleterre ou ailleurs en Europe, j’irais faire un petit tour pour une semaine, celle de mon anniversaire. Je ne donnerai de nouvelle à personne sur les réseaux sociaux. J’ai juste envie de courir et de ressentir ce que me dit mon corps, sans pression, 80 kilomètres par jour. Pour voir si j’aime toujours ça ! Car je dois envisager l’idée que ça ne soit plus le cas ! Peut-être est-ce trop désormais… En tout cas, j’ai un pied dans le projet : récemment une famille m’a gentiment donné un chariot d’une valeur de 400€, vu que le mien s’est cassé aux États-Unis. Je dois faire ce tour désormais (rires)”.
| Rob’s Today
Aujourd’hui, Rob est “redevenu” vétérinaire mais il garde un pied dans son exploit avec le podcast “How to be a Superhuman” que vous pouvez retrouver sur le site de Red Bull. Pour les anglophones only. “Ce podcast est pensé pour montrer que nous avons tous de grandes choses en nous. Les personnes que j’interviewe viennent d’horizons très variés, allant d’athlètes de niveau olympique à des personnes « ordinaires » qui ont travaillé dur pour accomplir quelque chose de vraiment remarquable. Le thème commun est l’aventure, avec une diversité d’histoires, et c’est une excellente échappatoire du quotidien – parfait pour les trajets domicile-travail ou pendant une course à pied ! C’est très bien produit, avec un gros travail sur l’ambiance sonore… Je suis fier d’y participer.”
Et nous de t’avoir croisé Robert !