Géraud Paillot, marathonien en exosquelette : « Ce n’est pas le chrono qui doit décider de qui est invité à la fête »
Il ne se définit pas comme un champion, mais comme un passionné. Géraud Paillot a appris à composer avec son handicap sans jamais renoncer à sa passion du sport. Avec un exosquelette, il a déjà bouclé plusieurs marathons. Son credo ? Montrer que les limites ne sont pas là pour enfermer, mais pour être déplacées.
Avant qu’on ne l’entende s’exprimer, arrêtons-nous sur l’instant, Géraud Paillot, silhouette déterminée, avance. Il n’y a plus guère de frontière entre l’effort et la poésie. Celui qui porte un exosquelette renommé « Kyogo » (acronyme de « Keep On Going ») ne fait pas que « marcher », il redéfinit le possible, pas à pas. Atteint de sclérose en plaques depuis 2004, le Breton, aujourd’hui âgé de 55 ans, a récemment accompli un nouvel exploit en bouclant le Marathon solidaire du Mont-Saint-Michel avec son exosquelette. Neuf heures de marche plus tard, il franchissait la ligne avec fierté. Car cette maladie chronique attaque le système nerveux et peut rendre la marche, la coordination et la vision plus difficiles. Elle évolue différemment selon les personnes, et même si elle n’est pas guérissable, des traitements permettent de mieux vivre au quotidien. Fondateur de l’association Aventure Hustive, Géraud Paillot mêle sport extrême et engagement, transformant ses défis (Paris-Marseille en kayak, enchaînements d’Ironman et nage en eau glacée pour les plus connus) en messages d’espoir. Il s’est confié à Marathons.com, sans détour ni filtres, partageant avec nous sa vision du sport, de l’inclusion et du dépassement de soi.
| Qu’est-ce qui vous a donné envie de courir en exosquelette ?
Chaque défi que j’entreprends, on me dit :« Ce n’est pas possible ». Mais ça ne me freine pas. Au contraire, ça me pousse à trouver des solutions, à tester mes limites et à montrer que la technologie peut élargir le champ du possible. Pour moi, ce n’est pas juste un outil, c’est un moyen de me dépasser et de transmettre un message sur l’inclusion dans le sport.
| La préparation mentale semble centrale dans vos courses. Pourquoi ?
Sans préparation mentale, je ne pourrais pas finir un marathon en exosquelette. Chaque kilomètre demande de l’endurance, mais surtout une gestion du mental incroyable. Il faut se faire confiance, anticiper les difficultés et rester concentré sur ses sensations, son corps et sa respiration. C’est un apprentissage quotidien, qui dépasse le sport.
« La technologie devient un levier d’inclusion et non seulement un outil médical. »
Géraud Paillot
| Comment l’exosquelette a-t-il changé votre perception du sport et du quotidien ?
Il redonne des libertés que l’on tient pour acquises. Marcher, courir, être debout à côté des autres, partager des moments. Tout ça devient précieux. Dans le sport, ça permet d’être actif, de participer, de vivre l’expérience collective. Dans la vie, ça donne confiance et autonomie. La technologie devient un levier d’inclusion et non seulement un outil médical.
| Vous parlez de « handiwashing » et de cases cochées. Pouvez-vous développer ?
Le “handiwashing”, c’est quand on fait semblant d’inclure. Mettre quelques « handi » sur le côté, pour la com’ ou l’image, sans penser à la vraie inclusion. La vraie inclusion, c’est courir sur le même parcours, partager l’effort, être vu comme un participant à part entière et non comme un simple symbole.
| Quels obstacles avez-vous rencontrés auprès des organisateurs de courses ?
Beaucoup refusent par peur ou manque d’imagination. On m’a proposé des courses séparées pour « les handi » alors que mon objectif était de courir avec tout le monde. Trop souvent, les organisateurs font des concessions minimalistes, sans penser au collectif. La vraie question devrait être, comment peut-on peut inclure tous les participants sur le même parcours ?
| Selon vous, comment devrait être pensé un marathon inclusif dès le départ ?
Il faut imaginer le parcours et les dispositifs d’assistance en fonction de différents handicaps, sans tomber dans l’excès de tout rendre accessible à tout prix. Par exemple, permettre à des exosquelettes, des fauteuils ou des non-voyants de participer, tout en garantissant la sécurité et le plaisir de chacun. L’inclusion ne se limite pas à une catégorie à part.
« La technologie va continuer à ouvrir des horizons, permettre de courir en montagne, de s’attaquer à des trails, tout en restant en sécurité et ensemble. »
Géraud Paillot
| Quelles innovations technologiques pourraient transformer l’inclusion dans le sport ?
Les exosquelettes, les joëlettes, les outils de guidage pour non-voyants… Tout cela permet de partager des parcours normalement inaccessibles. La technologie va continuer à ouvrir des horizons, permettre de courir en montagne, de s’attaquer à des trails, tout en restant en sécurité et ensemble. C’est un outil pour casser les barrières physiques et mentales.
| Que pensez-vous de la barrière horaire imposée par beaucoup de marathons ?
Elle exclut des participants qui pourraient finir avec un rythme plus lent. Je rêve d’un marathon où chacun a 8 ou 9 heures pour aller au bout, où l’arrivée est une fête pour tous. L’inclusion passe aussi par la liberté de rythme et le respect de chaque capacité. Ce n’est pas le chrono qui doit décider de qui est invité à la fête.
| Comment intégrez-vous l’imagerie multisensorielle dans votre préparation ?
J’utilise les cinq sens, visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif, pour travailler ma perception de la foulée et mon ressenti corporel. Par exemple, je peux réduire la durée de contact du pied au sol pour protéger mes genoux, sans me concentrer uniquement sur la vue. C’est une technique qui développe des ressources mentales et physiques insoupçonnées.
| Quelle est la différence entre la préparation mentale d’un athlète valide et celle d’un athlète en situation de handicap ?
Pour tous, elle est indispensable. Mais les personnes en situation de handicap ont l’avantage de devoir développer des ressources et de la créativité pour surmonter les contraintes. Elles s’habituent à se challenger, à anticiper, à gérer les imprévus. Cela forge un mental solide et adaptable, qui devient un atout dans la compétition et dans la vie.
| Comment le sport influence-t-il votre entourage et votre vie quotidienne ?
L’entourage joue un rôle essentiel, il doit pouvoir se ressourcer, faire du sport, oxygéner le cerveau. Pour moi, courir reste un moyen simple et universel, une paire de baskets suffit. Même une demi-heure chaque matin contribue à l’équilibre mental et à la préparation physique. Le sport devient un vecteur de cohésion familiale et sociale.
« On ne peut pas créer une vraie inclusion si chaque fédération reste dans son silo. »
Géraud Paillot
| Quels messages souhaitez-vous transmettre aux clubs et aux fédérations ?
Arrêtez de cloisonner. Une seule fédération, des licences universelles, des classifications claires. L’inclusion commence par simplifier les règles administratives, donner le choix aux athlètes et reconnaître leurs compétences, peu importe leur handicap ou leur rythme. On ne peut pas créer une vraie inclusion si chaque fédération reste dans son silo.
| Quelle place pour la diversité et les identités de genre dans le sport inclusif ?
Elle doit être pleinement pensée. L’inclusivité ne concerne pas seulement le handicap. Les personnes LGBT, non-binaires, transgenres, toutes doivent pouvoir choisir leur catégorie, leur classement ou leur rythme. C’est une question de respect, de normalité et d’égalité dans le sport. Chaque participant mérite d’être vu et entendu.
| Si vous pouviez organiser le marathon idéal, à quoi ressemblerait-il ?
Accessible à un maximum de handicaps, ouvert à tous les rythmes, avec des barrières horaires flexibles. Les participants pourraient choisir de courir en mode « classique » ou avec exosquelette, fauteuil ou joëlette. Le classement serait modulable, mais la fête resterait collective. L’idée, c’est d’inclure tous les participants sur le même parcours, dans une vraie dynamique de partage.
| Que retenez-vous de vos expériences et quel message final souhaitez-vous passer ?
L’inclusion est possible. La technologie permet d’ouvrir des chemins autrefois fermés. Mais surtout, la clé, c’est le collectif, valides et handi, chacun avec ses forces et ses limites, ensemble sur le même parcours. Le sport devient alors un vecteur de respect, de dépassement et de cohésion. Si je peux montrer qu’on peut aller plus loin, chacun peut s’autoriser à rêver et à participer.

Dorian VUILLET
Journaliste