« Treize degrés au départ, pas de vent, ciel clair » : Quelle est météo idéale pour battre son record sur marathon ?
Avant même de penser aux lacets parfaitement serrés, au dossard bien accroché ou au dernier passage aux toilettes, un autre acteur s’invite dans la préparation : le ciel. Depuis plusieurs années, les marathoniens scrutent leur météo comme les surfeurs surveillent leur houle. Les discussions d’avant-course tournent autant autour de la température, du vent et de l’humidité que des séances de seuil. Certains vérifient les prévisions à J-10, d’autres établissent un protocole pour gérer la chaleur, la pluie ou un courant d’air capricieux. La chasse au record dépend parfois davantage d’un coup de pouce atmosphérique que d’un entraînement millimétré.
Dimanche matin. Vous checkez votre appli Météo France avant de vous lancer dans ce marathon dont vous tannez vos collègues depuis de nombreuses semaines. Vous savez que l’air, la lumière, l’humidité mais également le vent influencent autant qu’un bon plan d’entraînement. On a beau se préparer, bien manger, dormir plus tôt, charger méticuleusement ses gels dans la poche… la météo peut ruiner les plans les mieux huilés.
Dans l’imaginaire collectif, battre son record se joue surtout sur l’entraînement, le matériel et la fraîcheur mentale. Pourtant, la science rappelle que la fenêtre idéale se situe souvent dans une fourchette très précise entre 8 et 12 degrés celsius. Un climat « sans stress thermique », glisse Jérôme Auger, kiné du sport et athlète, qui observe que « l’organisme travaille à son optimum quand il n’a pas à lutter ni contre la chaleur ni contre le froid ». Des températures fraîches, un air sec, un soleil discret, c’est exactement ce que le médecin du sport et physiologiste de l’exercice pour World Athletics Stéphane Bermon appelle « les conditions où le corps dissipe la chaleur efficacement », celles dans lesquelles les records du monde sont fréquemment tombés.
Julien Devanne, champion de France du marathon en 2019 et auteur d’un solide 2h14’55 à Valence, en garde un souvenir très concret. Ce jour-là, « les conditions étaient bonnes, même si la chaleur montait vite ». Pour un coureur sous les 3h30, précise-t-il, « ça reste parfait, mais au-delà, ça commence à peser ». Tout en reconnaissant, avec ce recul amusé propre aux marathoniens, que lorsque tu bats ton record, même s’il fait chaud, très chaud (30 degrés et plus encore), « tu as l’impression que c’était les conditions parfaites ». Parce que la météo idéale n’est jamais seulement une affaire de chiffres, on retrouve un état intérieur.
| L’humidité, frein invisible
On parle souvent du thermomètre, pourtant l’humidité est parfois bien plus déterminante. Quand l’air est saturé, la sueur n’évapore plus, la thermorégulation s’effondre et le moteur surchauffe. Au Vietnam, Devanne en a pris la pleine mesure avec un départ à 6h du matin, chaleur modérée mais une humidité folle, et au final « dix minutes de perdues sur semi, juste à cause de ça ». Une leçon douloureuse mais limpide. Même un organisme calibré pour performer “peut se faire rattraper par l’humidité”, dit-il, au point où la course « devient de la survie. »

Bermon, de son côté, décrit cette humidité comme « un tueur silencieux », celui qui empêche la sueur de faire son job. Trop sec n’est pas mieux car dans un air très aride, la sudation fonctionne si bien qu’on se déshydrate plus vite qu’on ne le pense. L’équilibre est fragile, presque chirurgical.
| Le vent, allié à double tranchant
Et voilà qu’un facteur sous-estimé fait son entrée de jeu, le vent. Jérôme Auger rappelle qu’un souffle dans le dos peut donner l’impression de courir en descente, un petit « bonus gratuit » qui se transforme vite en handicap dès qu’il s’oriente de face. « Sur piste, t’as l’impression qu’il est toujours de face, même quand il devrait être de dos », en rit presque Devanne. Sur marathon, ce phénomène se transforme parfois en sentence. « Un kilomètre de vent de face au 35e, c’est plus dur qu’une côte », poursuit-il. Ce n’est pas seulement une question de résistance, le vent « casse la mécanique et même la tête », jusqu’à cette impression de « courir assis », dit-il, image parfaite de ce moment où la foulée se dérobe.
| Un équilibre subtile à trouver
Trop chaud, tu chauffes. Trop froid, tu consommes. Trop humide, tu n’évacues plus. Trop sec, tu te vides. Trop de vent, tu luttes. Pas assez, tu surchauffes. Bermon résume ça d’une phrase clinique : « plus l’air extérieur est frais par rapport à votre corps, plus le transfert de chaleur est efficace ». Et au-delà des chiffres, il y a les éléments qu’on oublie trop vite, comme la qualité de l’air. Auger rappelle que la pollution « contracte les bronches, rend la respiration moins efficace et fait chuter la performance », même sans qu’on en ait vraiment conscience.
On comprend alors pourquoi un marathonien de renom comme Julien Devanne (champion de France de marathon en 2019 à Metz) décrive son idéal presque comme une vision : « treize degrés au départ, pas de vent, ciel clair… », cet alignement des astres que tous rêvent sans toujours l’avoir vécu. Le bonheur météorologique d’un mordu des 42,195 km.
| Adapter son plan à la météo
La météo parfaite existe mais elle se présente rarement. Tout l’enjeu est donc de s’y ajuster. Julien Devanne ne laisse rien au hasard, il se prépare « toujours au pire scénario ». S’il sait que la pluie arrive, il ne s’invente pas un rayon de soleil. « Soit je cours, soit je ne cours pas, mais j’y vais préparé ». Une philosophie simple.
La météo ne doit pas décider du mental, mais le mental peut transformer une météo difficile. « Les fondamentaux ne doivent pas être abandonnés », martèle Jérôme Auger. Le topo est simple : boire régulièrement, c’est-a-dire trois ou quatre gorgées toutes les vingt à vingt-cinq minutes, s’acclimater à la chaleur en amont, ajuster l’allure en fonction du vent, connaître son parcours, anticiper ses ravitaillements. Et surtout éviter le piège de la surhydratation qui ralentit et perturbe la digestion.
La thermorégulation est devenue centrale. Avant, elle passait au second plan. Aujourd’hui, « c’est primordial », avance Julien Devanne, au point qu’une bouteille à la main peut devenir « le meilleur moyen d’enchaîner les saisons. » S’adapter oui, mais pas accepter tous les désavantages. « Vent, chaleur, humidité… mais pas tout en même temps. »
| Une météo subie ou une météo maîtrisée ?
Un dernier élément entre alors en jeu, la capacité à agir plutôt qu’à subir. Le mental façonne autant la performance que la température affichée sur le thermomètre. Julien Devanne aime à rappeler que « certains se subliment sous la pluie, d’autres s’éteignent au soleil », un constat qui confirme que chaque organisme répond à sa manière. Pour lui, transformer une météo difficile en opportunité relève presque d’un art. « Le mental peut faire d’une journée pourrie une journée parfaite », glisse-t-il, convaincu que la perception influence autant que les paramètres physiques.
À haut niveau, rien n’est laissé au hasard. Il faudrait insister sur la nécessité de clarifier sa stratégie avant le départ, d’anticiper les imprévus, de connaître son allure cible et de garder de la marge pour réagir en fonction des conditions réelles. Dans le futur, c’est avéré que les marathons devront s’adapter à un climat en mutation : des départs plus matinaux, des parcours plus nordiques, peut-être même des records qui deviendront plus rares. La fenêtre météo idéale se rétrécit, mais l’envie de la saisir reste intacte.
Et au bout du compte, une vérité simple domine : la météo influence, mais elle ne dicte pas tout. Les journées parfaites existent entre ce matin à 13 degrés sans vent, le ciel limpide, la ville qui s’éveille juste pour encourager les coureurs et lorsqu’elles se présentent, mieux vaut être affûté, confiant et prêt à en profiter. Le reste appartient à la magie du marathon. Un mélange fragile de préparation méticuleuse, de sensations imprévisibles et d’atmosphère presque intime avec la météo du jour.
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Dorian VUILLET
Journaliste