Le bicarbonate peut-il vraiment aider un coureur ? Marathons.com a échangé sur la question avec le médecin Fabrice Kuhn. © EDF Vercorsman

À quoi sert le bicarbonate chez un coureur ? Fabrice Kuhn casse les mythes de vestiaire et la réalité du bitume

NutritionCommunauté
04/12/2025 11:54

Dans l’univers du running, chacun a son petit « truc », caféine avalée au dernier moment, jus de betterave en prépa, sel dans la poche « au cas où ». Et puis il y a le bicarbonate. Oui, le même que celui qui traîne dans les placards de cuisine. Depuis quelques années, il circule dans les conversations comme une potion mystérieuse capable de gommer la brûlure des cuisses. Mais à quoi sert-il réellement chez un coureur ? Pour démêler l’utile du folklore, Marathons.com a discuté avec Fabrice Kuhn, médecin du sport, qui remet les pendules à l’heure avec une lucidité presque rafraîchissante.


Le bicarbonate n’a rien d’un élixir confidentiel. Mais plutôt d’un mécanisme physiologique avant d’être un complément. Pendant l’effort intense, le muscle produit des ions H+ qui acidifient l’environnement cellulaire et limitent la contraction. Concrètement, c’est ce moment précis où les jambes se raidissent, où la foulée perd son ressort, où la brûlure remonte. Le rôle du bicarbonate ? Fabrice Kuhn, un médecin du sport de renommée et auteur de plusieurs ouvrages de nutrition dont La Science de l’Endurance (1 et 2) publié pour les deux versions aux éditions Thierry Souccar, le résume d’une phrase claire : « Il tamponne l’acidité produite à l’effort, neutralise ce qui s’accumule dans le muscle et permet aux fibres de mieux fonctionner ».

Autrement dit, il décale légèrement la frontière du supportable. Mais ce mécanisme n’est pas universel, il est étroitement lié à l’intensité. « Plus l’effort est intense, plus on produit d’acidité, soutient le triathlète depuis presque 20 ans et participant aux Mondiaux Ironman 2019 dans sa catégorie (V2). Et plus il faut de tampons pour la maîtriser ». Ce que le bicarbonate promet, c’est donc avant tout un sursis. Pas une métamorphose.

| Une efficacité solide… mais sur un créneau précis

Les études convergent car l’effet du bicarbonate est significatif sur des efforts compris entre 1 et 12 minutes. La plage est mince mais déterminante. Elle concerne les distances lactiques, celles où l’allure est trop rapide pour que le métabolisme aérobie suffise. Kuhn, lui, va droit au but. « Sur l’endurance, ce n’est pas le truc qui va révolutionner l’effort. Les études montrent un effet jusqu’à 12 minutes, on est loin du marathon ». Le contraste est net. Ce qui fait sens sur un 800 m, un 1500 m ou un 3000 m perd sa pertinence au-delà.

Peut-il exister des bénéfices résiduels sur route ? Chronométré en 3h01 sur marathon, il nuance : « Scientifiquement, on n’en a pas la preuve, mais pourquoi pas en fin de course, surtout si le parcours impose des changements de rythme ». Une relance dans une côte, une sortie de virage, un dernier kilomètre à l’arrachée… Ce sont des détails mais dans le monde de la performance, les détails comptent parfois.

Sur un plan pratique, le bicarbonate trouve surtout sa place avant certaines séances de préparation. Pas pour améliorer artificiellement une allure marathon, mais pour aider un coureur à encaisser des séances lactiques, celles qui construisent la résistance à l’acidité. Un 8×800 m à allure 5 km, une série de 400 m courts, un travail de relais en club. Ici, le tamponnement supplémentaire peut permettre de tenir une ou deux répétitions de plus, d’élever le niveau d’entraînement sur un bloc ciblé. Et progresser, par ricochet. C’est un outil de préparation, pas un outil de compétition.

| Déconseillé pour certains, l’efficacité digestive est nettement moins spectaculaire

Reste le revers du décor, à savoir la tolérance. Le bicarbonate est connu pour perturber l’estomac, et Fabrice Kuhn ne tourne pas autour du pot. « Les troubles digestifs avec le bicarbonate, c’est très connu », est-il obligé de prévenir. La posologie « classique », 0,2 g par kilo trois heures avant l’effort, a beau être scientifiquement validée, elle s’accompagne souvent d’un cortège de nausées, ballonnements, urgences digestives.

Exactement ce que tout coureur cherche à éviter. Les capsules gastro-résistantes ? Oui, elles atténuent le problème. Mais même elles ne garantissent pas une tolérance parfaite. « Si on veut limiter les troubles digestifs, les capsules gastro-résistantes sont idéales ». Il faut tester, apprivoiser, ajuster et accepter que même ainsi, le risque ne tombe jamais à zéro.

Le bicarbonate n’est pas un complément anodin. Pour certains profils, il est même déconseillé. À 52 ans, Kuhn est catégorique. « Chez quelqu’un qui a de l’hypertension artérielle, j’éviterais. Le sodium peut faire monter la tension. »Un rappel essentiel pour un produit souvent pris à la légère. Mais il refuse l’alarmisme. « Ce n’est pas dangereux, sauf troubles digestifs, souffle-t-il. Ce n’est juste pas utile sur l’endurance. Mais on peut l’utiliser si on sait pourquoi on le fait ». Une phrase qui éclaire la place réelle du complément : ni miracle, ni menace. Juste un outil spécialisé.

| Le mirage de la solution rapide et une dérive vers le dopage ?

La tentation existe toujours de chercher une aide extérieure, un levier discret qui ferait gagner ce que l’entraînement ne donne pas. Le médecin du sport, lui encore, remet l’ordre des priorités. « Avant de penser au bicarbonate, on optimise le sommeil, l’entraînement, la musculation, l’alimentation et la nutrition à l’effort. » C’est la base. Le socle. Le reste n’est que cosmétique physiologique. Et s’il ne devait recommander qu’un seul supplément réellement utile pour la performance ? Il n’hésite pas : « Ce serait la caféine ! ». Le message est limpide, il faut s’attacher à ce qui marche vraiment.

Et la question revient souvent quand un complément améliore légèrement la performance. Kuhn, dont les derniers 42,195 km reviennent au Marathon de Paris en 2019, la balaie calmement. « Je n’ai pas la preuve que ça pousse vers le dopage. Moi, j’ai pris du bicarbonate, et je n’ai jamais eu envie d’aller plus loin ». Pour lui, le vrai risque est ailleurs : la surconsommation, l’impression que chaque petit supplément doit être adopté. « Le risque, c’est de dépenser de l’argent inutilement et de se couvrir la santé de compléments qui ne servent pas à grand-chose. »

Le bicarbonate n’est ni un mensonge, ni une solution miracle. C’est un complément efficace, mais dans un cadre extrêmement précis : les efforts lactiques où l’acidité dicte la loi. Pour le coureur de 800 m, il a un sens. Pour celui qui prépare un 5 km, il peut aider ici ou là. Pour le marathonien, il reste marginal, presque anecdotique. Pour l’ultra, il n’a plus aucune raison d’être. Il est utile pour ce qu’il est, mais seulement pour ce qu’il est. Et c’est encore Fabrice Kuhn qui le dit le mieux. « Je ne le déconseille pas. Je dis juste que ça ne paraît pas utile. »

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Dorian VUILLET
Journaliste

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