Gravir le Mont Ventoux à vélo ou en courant : quel est le plus dur ?
En juillet dernier, les coureurs du Tour de France se sont lancés à l’attaque du mythique Mont Ventoux pour la 18ème fois dans l’histoire de la Grande Boucle. Cette 16ème étape d’anthologie (Montpellier – Le Mont Ventoux) a couronné le Français Valentin Paret-Peintre face à l’Irlandais Ben Healy au terme d’un suspense de folie. Quelques semaines plus tôt, près de 1 500 coureurs ont affronté les pentes du « Géant de Provence » à l’occasion du Semi-marathon du Mont Ventoux Kookabarra. Alors, quel effort est le plus difficile ? Conquérir le sommet à vélo ou en courant ? Marathons.com a enfourché le vélo pour tenter l’ascension de ce colosse tandis que Manon Coste, victorieuse du 21 km de l’édition 2025, partage ses impressions sur la course.
Le Mont Ventoux ou le mythe, propulsé par le monde du cyclisme. Cette montagne du Vaucluse qui culmine à 1 909 m d’altitude est décidément à part et suscite une grande fascination chez les sportifs. Entre 150 000 et 200 000 cyclistes sillonnent les sublimes routes du Mont Chauve chaque année. Pendant le Tour 1955, à l’entame du col, le coureur Raphael Géminiani a crié à son homologue Ferdinand Kübler : « Attention Ferdinand, le Ventoux n’est pas un col comme les autres ! » Une phrase légendaire qui traduit la terrible difficulté de cette montée.
Trois ascensions sont possibles pour parvenir à la célèbre antenne relais rouge et blanc de l’observatoire au sommet de ce col classé hors-catégorie. La première, et probablement la plus connue, n’est autre que la montée par Bédoin. Cet itinéraire est le plus emprunté dans l’histoire de la plus grande course cycliste au monde. Le Semi-marathon du Mont Ventoux Kookabarra se déroule aussi sur ce versant et attire chaque été de plus en plus de curieux, presque 1 500 en 2025. Cette course est d’ailleurs considérée comme le semi-marathon le plus dur d’Europe.
Avec ses 21,6 km et ses 1 610 mètres de dénivelé positif, le tout avec une pente moyenne à 7,5 % dont 15,7 km à 8,7 % de moyenne du côté de Bédoin, le Géant de Provence porte très bien son nom. Les autres faces ne sont pas évidentes non plus, avec Malaucène qui est moins linéaire mais avec des portions très raides (21,1 km, 1 538 m de dénivelé positif, 7,5 % de moyenne, avec une partie à 12,7%.) La montée la plus facile est celle depuis Sault (25,6 km, 1 216 m de dénivelé positif, 4,5 % de pente moyenne.) Il existe même une quatrième voie, plus confidentielle, mi route, mi chemins depuis Bédoin (24,5 km de côte pour 1 620 m de dénivelé avec 6,7 % de moyenne.) Ceux qui réalisent les trois versants peuvent d’ailleurs prétendre à rejoindre le club bien nommé des « Cinglés du Mont Ventoux. »
L’ascension n’est pas possible toute l’année, puisque les routes menant au sommet sont fermées en cas de neige ou de trop fortes intempéries. Le Mont Ventoux, ou le royaume du mistral. Le vent fait souvent légion sur ses impitoyables pentes, de quoi vous malmener pendant votre expédition jusqu’au point culminant.
| L’ascension à vélo, dans la peau d’un coureur de la Grande Boucle
Marathons.com a testé pour vous la montée du Mont Chauve par Bédoin, à bicyclette. Une expérience inoubliable bouclée à un rythme de croisière, en 1h55 (1h25 pour l’accompagnant). Nous sommes bien loin des 53’47 de Tadej Pogacar pour boucler l’itinéraire…
Départ le 30 juillet de Villes-sur-Auzon à 9h00, pour une approche jusqu’à Bédoin longue d’une dizaine de kilomètres. Le Géant, niché dans les Monts de Vaucluse est visible de très loin, puisqu’il surplombe les typiques champs de lavande à l’odeur parfumée. Vous avez le sentiment de vivre l’ascension dès les premiers kilomètres tant vous le distinguez de loin.
Vous traversez ensuite Bédoin, petite ville de Provence charmante très animée par les cyclistes, motards et automobilistes. Du hameau jusqu’à Sainte Colombe, la route bordée de pieds de vignes et de cerisiers s’élève progressivement. Vous passez de 2 % à 4 %, puis à 5 % et à un peu plus de 6 % en rentrant dans Sainte-Colombe. Puis, la pente s’adoucit avec un petit replat.
C’est au virage de Saint Estève, à l’entame des pierriers et de la forêt de pins que la route commence à se cabrer sérieusement. Vous n’aurez quasiment plus de répit jusqu’au sommet. Le Mont Ventoux, qui était alors à votre gauche apparaît maintenant droit devant. Celui-ci paraît inaccessible, ce qui participe à sa dimension mythique, indomptable et inoubliable.
Pendant 9,5 km (9,3 % de pente moyenne), jusqu’au Chalet Reynard, un restaurant local iconique, le ruban d’asphalte devient infernal à dompter, passant de 3 % à 9 %. Une entame du col rude, puisque l’antenne relais est encore loin ! La route se rétrécit dans une gorge étroite, puis serpente dans la forêt. De longues lignes droites ponctuent votre périple. Et pas le moindre replat à l’horizon, puisque les portions les plus faciles ne sont jamais en dessous de 8 %. Les plus pentues sont à 11 %. Les cyclistes de Marathons.com, pourtant bien entraînés, ont souffert dans cette partie, comme la véritable meute de milliers de cyclistes de tous les âges, de tous les niveaux et de toutes les nationalités qui se lancent dans ce défi. Nous étions très vite sur les derniers pignons de notre cassette en 34 dents, et ce pour un long moment, tout en forçant énormément. Nous avons même vu des passionnés faire demi-tour ou mettre pied à terre à ce moment-là.
Cette partie est longue et pas moins exigeante mentalement. À l’horizon, nous ne voyons rien d’autre que la végétation provençale. Point positif : la route est aménagée pour les sportifs, avec de nombreuses poubelles le long du parcours pour se délester des emballages de gels et de barres.
Au fil des kilomètres, les arbres sont de plus en plus clairsemés, les champs de pierres s’étirent à perte de vue, signe que l’altitude augmente. Les premiers chalets apparaissent à l’horizon. Là, le Mont Chauve se dessine, massif, et son nom prend tout son sens. Le paysage change radicalement. Cette transition est très marquante, le périple est ponctué de ce genre de surprises naturelles à admirer sans modération. Le décor est à couper le souffle, les arbres se raréfient peu à peu pour laisser place à des roches calcaires au blanc éclatant. Un décor aride, lunaire, unique en son genre et superbe. Vous serez peut-être surpris par des troupeaux de moutons qui arpentent ce paysage peu commun, parfois devant vos roues.
La pente devient plus supportable jusqu’au Chalet Reynard, situé dans un grand virage et à l’intersection de la route de Sault. Les courbes sont amples et vous offrent des successions de vues panoramiques vertigineuses entre 5 et 8 %. Le sommet se dresse au loin, mais il paraît encore haut perché. Ce secteur est marquant, très émouvant, tous les courageux s’extasient devant ce décor magique. Ce lieu est complètement à part, bien différent de tous les cols que nous avons pu gravir.
Du Chalet Reynard au sommet, il y a 6 km à 8 % de moyenne. Dans les deux derniers kilomètres, la pente se raidit et le vent devient plus fort. C’est à ce niveau que vous apercevez la stèle de Tom Simpson, le cycliste anglais mort d’une crise cardiaque au Tour 1967. Le ressenti sur cette ultime partie est parfois plus intense selon le soleil, le fort mistral et votre état de fatigue. Vous vous retrouvez à découvert, face au vent qui s’engouffre dans ce secteur. Jusqu’à présent, vous étiez protégé par la versant Nord. Ce changement a de quoi vous déstabiliser. Au dernier kilomètre, à l’attaque de Col des Tempêtes, la route effectue un virage à gauche et continue de s’élever jusqu’au relais. Les derniers 800 m sont terribles, à plus de 10 %. Mais là-haut, la vue vertigineuse est imprenable et mérite largement tous les efforts.
| L’ascension en courant, à la force des jambes et de la tête
L’édition 2025 du Semi-marathon du Mont Ventoux Kookabarra a couronné Emmanuel Roudolff Lévisse et Manon Coste. La coureuse du Team Mv Thermique possède des références en 33’35 sur 10 km, 1h14’34 sur semi-marathon et 2h42’26 sur marathon. Également duathlète, la professeure d’EPS est à l’aise dans les deux disciplines. Celle qui a triomphé au sommet du Mont Chauve en 1h48’29 explique avoir couru le semi-marathon avant d’enchaîner avec la montée à bicyclette le lendemain.
« J’ai trouvé l’ascension plus facile en courant. À vélo, cela m’a paru interminable. Les pentes paraissaient plus raides qu’à pied. Musculairement, le Semi-marathon du Mont Ventoux m’a paru plus facile qu’un 21 km plat, il y a moins de casse musculaire et c’est surtout de la gestion de fréquence cardiaque. Je me suis basée sur ma FC marathon, et j’ai fait en sorte de ne pas avoir de dérives, de ne pas monter trop haut parce qu’en côte, on ne peut pas faire redescendre le cœur. »
« J’ai trouvé l’ascension plus facile en courant. À vélo, cela m’a paru interminable. Les pentes paraissaient plus raides qu’à pied. Musculairement, le Semi-marathon du Mont Ventoux m’a paru plus facile qu’un 21 km plat, il y a moins de casse musculaire et c’est surtout de la gestion de fréquence cardiaque. »
Manon Coste, vainqueure du Semi-Marathon du Mont Ventoux 2025
La Dijonnaise apprécie ce genre de gestion d’effort, même si cela a été rendu possible parce qu’elle était seule en tête. « Si j’avais été à la bataille, ça aurait peut-être été différent. Je ne l’avais pas préparé spécifiquement et je ne l’ai pas trouvé spécialement dur. À vélo, j’avais probablement une vision un peu biaisée comme je l’ai réalisé le lendemain de ma course avec des développements pas vraiment adaptés. Je pense que c’est plus facile à pied. J’ai quand même l’habitude de faire des cols, et du côté du Mont Ventoux, je trouve que c’est long, avec de grosses pentes. J’ai déjà fait l’ascension de l’Alpe d’Huez à plusieurs reprises à vélo mais j’ai aussi testé à pied. Une fois de plus, j’ai été plus dans le rouge à vélo qu’à pied. »
Un ressenti partagé par les habitués de ces deux disciplines et par nos coureurs chez Marathons.com. En courant, il est plus facile d’adapter son allure dans la difficulté, voire même de marcher. Une alternative qui n’est pas possible sur un deux-roues. Si vous ne pédalez pas assez fort, vous risquez la chute. Quand le palpitant s’emballe, grimper une côte de plus en plus raide à coup de pédales peut devenir infernal…. Là où vous pouvez récupérer en courant si vous ralentissez. Vous pouvez néanmoins souffrir atrocement si vous décidez de donner votre maximum du début à la fin. Dans ce cas, les deux moyens de déplacement se valent en terme d’arduité.
Or, avec seulement vos jambes, il n’y a plus de questions de braquets ou de cassettes adaptées. Vous pouvez adopter la foulée qui vous convient le mieux, sans être limité par le matériel. Vous devenez alors redoutable même pour ceux qui sont juchés sur leurs vélos.
À titre de comparaison, Manon Coste a bouclé l’ascension en 1h48’29 à pied et en 1h59 à vélo. Bien que sa première montée se déroulait dans le cadre d’une compétition alors que la deuxième avait pris la forme d’une sortie tranquille, s’attaquer au sommet du Ventoux avec des baskets peut parfois être plus rapide. Il est clair que la Petite Reine est plus agréable sur les portions qui montent peu, de replat, sans parler de la descente. Autre point positif pour les cyclistes, les kilomètres sont plus souvent faciles à encaisser mais aussi plus ludiques et confortables qu’en courant. À pied, gravir un col bitumé peut paraître encore plus titanesque et plus rude, surtout si le thermostat est élevé. À vélo, vous souffrez moins de la chaleur et vous avez l’impression d’avancer davantage, de pouvoir aller plus loin plus rapidement.
Peu importe le moyen choisi, l’effort reste dantesque et intense. Chaleur écrasante, vent violent, fréquentation importante, longueur interminable, les pentes du Géant de Provence ne font de cadeaux à personne. Le gravir, c’est vivre une expérience inoubliable et remplie d’émotions fortes. Vous garderez toujours une empreinte de votre passage dans la Drôme. Il ne vous reste plus qu’à tenter l’ascension pour en juger par vous-même.

Emma BERT
Journaliste