Courses féminines : un engouement qui ne faiblit pas
Courir entre femmes, un mouvement en pleine foulée. En plein essor, les courses exclusivement féminines se multiplient partout en France et rencontrent un succès grandissant. Soutenues par les collectivités, les clubs et les instances sportives, elles répondent à un besoin profond : offrir aux femmes une place légitime, visible et bienveillante dans l’univers de la course à pied. Portées par une reconnaissance institutionnelle croissante, avec l’accompagnement et l’appui des mairies, des comités sportifs et de la Fédération Française d’Athlétisme, ces initiatives célèbrent une autre manière de courir : ensemble, entre femmes, avec une énergie faite de performance, de fierté et de sororité.
Être une femme et courir : Deux aspects de la vie qui ne sont pas toujours faciles à concilier, pour des raisons simples, la charge mentale liée au rôle de mère, de conjointe, le travail, les enfants dont il faut s’occuper, et tout ce qui prend du temps au quotidien, parfois au point d’empêcher de courir ou même de s’inscrire à des courses.
Participer à une course féminine est une manière de se faire plaisir, en se consacrant pleinement à la préparation de l’événement, puis à l’aboutissement lui-même, mais aussi de partager un moment convivial entre amies, collègues ou membres de la famille, une véritable génération de femmes réunies autour de la course.
| La naissance des courses féminines
➜ Mettre en valeur les femmes : visibilité et reconnaissance
En 1997, Patrick Aknin crée La Parisienne pour dénoncer le machisme dans les médias sportifs, mettre les femmes à l’honneur et proposer une nouvelle vision du sport, centrée sur le bien-être plutôt que sur la performance. Sous cette impulsion, apparaît en 2003, La Sarabande des filles de La Rochelle. Lors de sa création, la course n’a pas directement rencontré le succès populaire dont elle est fait l’objet aujourd’hui. Sa présidente, Dominique Bartoli, se souvient que la course était décriée à ses débuts : « C’était assez révolutionnaire quand on s’est dit qu’on allait faire une course exclusivement féminine car la dynamique autour du sport féminin n’en était qu’à ses débuts. Les premières années, on nous disait « une course féminine, mais n’importe quoi ». Maintenant que les femmes se sont prises au jeu, tous les clubs d’athlétisme qui nous entourent nous remercient parce qu’ils ont augmenté leur nombre de licenciées. » Inspirée par La Parisienne, La Sarabande naît donc d’une volonté de rendre les femmes plus visibles dans le monde de la course à pied, car bien souvent, souligne-t-elle, « dans les courses mixtes, c’est les garçons qui trustent les premières places, et les femmes sont moins mises en avant, dans la presse, comme ailleurs, bref on en parle moins ». À Amiens, lors du salon des associations, Anne-Marie Quelin, ancienne présidente de Femmes Solidaires, a cherché à s’associer à un club sportif capable de l’accompagner dans sa démarche de valorisation du sport féminin. « L’association a toujours été très sensible à ce sujet, parce qu’on trouve que les femmes ne sont pas assez valorisées dans le milieu du sport, ni par les salaires, ni par les représentations dans les médias », explique la présidente actuelle, Martine Tekaya. L’US Camon Athlétisme s’est révélé être le partenaire idéal pour mener à bien ce projet. C’est ainsi qu’est née, il y a 16 ans, la Course Solidaire Féminine d’Amiens, fruit d’une collaboration engagée entre Femmes Solidaires et le club camonais.
➜ Permettent aux femmes de se sentir légitime de courir
Les premières années, les co-organisateurs se partageaient les bénéfices. Mais avec l’arrivée de subventions pour Femmes Solidaires, l’association a choisi de ne plus percevoir les recettes, étant donné la gestion de l’événement effectuée par le club d’athlétisme. Cette initiative portée par Femmes Solidaires s’inscrivait dans la continuité de courses amiénoises autrefois dédiées aux femmes, comme L’Amiénoise, aujourd’hui devenue la Jules Verne, qui s’étaient peu à peu détournée de leur objectif initial en devenant mixtes, et donc plus classiques, au détriment de la mise en évidence des femmes. Il s’agissait d’un effet rebond, une réaction à la disparition de ces événements. Certaines femmes ne couraient pas, ou plus, car leurs maris étaient prioritaires dans la pratique sportive. L’idée, c’était donc d’inverser la tendance : « Que les hommes soient sur le bord pour encourager les femmes », rapporte la présidente de l’association. Une manière de redonner aux femmes la pleine liberté de courir, de se sentir légitimes et visibles dans l’espace sportif.
➜ D’une volonté de faire bouger les lignes
En 2019, La Duchesse voit le jour. Cette course 100% féminine se déroule en soirée, au cœur des lieux historiques de Nantes, avec une arrivée atypique au château des Ducs de Bretagne. Initiée par l’association La Fabrique Sportive, qui œuvre pour dynamiser le sport féminin à l’échelle métropolitaine, La Duchesse s’est imposée comme un événement marquant du mois d’octobre. La Parisienne, créée il y a 28 ans par un père, Patrick, et sa fille, Jennifer, qui l’a rejoint en tant qu’experte en yoga, dans un esprit similaire, faisait déjà écho à cette volonté de mettre les femmes au premier plan, tout comme La Sarabande à La Rochelle. Pionnière dans le domaine, elle a rassemblé 1 500 participantes lors de la première édition. En 2010, elle a atteint un record de participation à hauteur de 40 000. En septembre 2025, ce premier événement 100% féminin français mettra en avant 25 000 coureuses dans les rue de la capitale, un chiffre impressionnant qui témoigne du succès croissant de cette course, et des autres qui en sont l’écho, fruit de motivations multiples : sportives, sociales, symboliques.

| Ce qui pousse les femmes à courir entre elles
Différentes explications permettent de comprendre l’engouement croissant pour les courses féminines ces dernières années.
✔ La convivialité et le besoin de se retrouver entre femmes figurent parmi les principales clés de ce succès. Beaucoup s’inscrivent en groupe pour vivre pleinement l’événement. « Des enterrements de vie de jeunes filles viennent se challenger, des copines, des collègues… C’est vraiment ce qui fait l’émulation », explique la présidence de l’association de La Sarabande, Dominique. Le moteur, c’est cet esprit collectif, fait d’encouragements, d’embrassades à l’arrivée, et de la joie partagée d’avoir vécu un moment fort ensemble. Bien sûr, certaines participantes s’élancent seules, mais elles trouvent elles aussi leur place dans une ambiance bienveillante et sécurisante. Qu’elles soient venues avec leurs entreprises ou en indépendantes, « cette ferveur, cette solidarité féminine, et cette reconnaissance liée à leurs noms marqués sur leurs dossards montrent à quel point cette course les transporte », affirme celle qui a connu les prémisses de l’événement.
Une sororité qu’on retrouve également lors de La Parisienne, comme le raconte Jennifer Molina, responsable communication chez Golazo Events : « La Parisienne, on ne la fait pas seule en général. Il y a beaucoup de solidarité, de convivialité, et c’est ce qui donne envie d’y participer avec des collègues ou une amie l’année suivante. » Chaque année, les participantes se préparent en fonction du thème défini à l’avance. Pendant plusieurs années, l’événement mettait à l’honneur différents pays, car son fondateur, « passionné de voyages, souhaitait valoriser une destination chaque année », explique l’une des organisatrices de l’événement. Désormais, les thèmes sont plus ludiques. Cette année, les super-héroïnes envahiront les rues de Paris pour faire la fête, un état d’esprit fidèle à cette course festive, véritable festival qui s’étend sur trois jours au sein d’un village aménagé pour accueillir les participantes, ainsi que leurs conjoints et leurs enfants, grâce à un service de garderie. Plus de 1 500 musiciens rythment l’événement, avec un groupe installé tous les 500 mètres pour ponctuer le parcours de mélodies entraînantes.
✔ L’accessibilité de ces courses contribue également à leur attractivité. La distance choisie par les organisateurs de la Course Solidaire Féminine d’Amiens est de 5 km, répartis en trois boucles sur le même circuit, au parc de La Hotoie. Un format pensé pour rendre la course accessible au plus grand nombre. L’objectif est clair : permettre à un maximum de femmes de se sentir prêtes à participer, sans nécessiter une préparation intensive ni risquer de se blesser. « Le fait, c’est de courir sans complexe, pas forcément de gagner. » On y trouve aussi bien des femmes entraînées que des débutantes, venues pour relever un défi personnel ou simplement partager un moment. La déclinaison de l’épreuve en marche nordique constitue une alternative bienvenue, ouvrant l’événement à d’autres femmes « qui ne peuvent pas courir ». La présidente de Femmes Solidaires, Martine Tekaya, ajoute : « Comme moi, qui est une prothèse de hanche et qui participe à la marche ». Le but est aussi de rendre l’événement financièrement accessible, en proposant « une course au prix le plus bas possible », explique Jean-Yves Evrard, l’organisateur en charge de l’événement amiénois. Cette année, le tarif a même été réduit pour les étudiantes, afin de faciliter leur participation.
D’autres courses adoptent une logique similaire, à l’image de La Duchesse, qui propose plusieurs formats : un 10 km pour celles qui souhaitent se challenger sur une distance officielle, et une course mixte en duo pour celles qui préfèrent partager l’expérience avec un proche, parfois masculin, ou courir dans une dynamique de soutien mutuel. Pendant plusieurs années, La Parisienne proposait une course d’environ 6,2 km, puis 7 km. « C’était volontaire qu’il n’y ait pas de distance officielle, justement pour atténuer l’aspect performance », explique Jennifer Molina. Une manière de promouvoir l’activité physique dans un esprit sain et décontracté.
✔ Le défi personnel, face au rythme soutenu de la vie quotidienne et à l’effort fourni grâce à soi-même, explique aussi l’ampleur des courses féminines. « Parfois, elles oublient tout pendant une trentaine de minutes ou une heure. Les hommes gardent les enfants », observe Dominique. Les rôles s’inversent alors, car ce sont souvent les femmes qui encouragent leurs conjoints sur le bord des routes. Durant cette parenthèse, ce sont elles qui voient des pancartes qui leur sont adressées : « Vas-y, maman. T’es la plus forte ! » ; « On t’attend à l’apéro. La bière va être chaude. » Cette considération, apportée aussi bien à la première qu’à la dernière participante par le public, les bénévoles et l’organisation, permet aux coureuses moins expérimentées de se sentir à l’aise et d’aller jusqu’au bout. Madame Bartoli insiste sur l’importance de cette égalité de traitement : « Il faut qu’elles se disent que même si elles mettent deux fois plus de temps que la première, eh bien, on les attend. » Aucune coureuse ne doit ressentir la pression de devoir terminer rapidement : « Les barrières ne sont pas rangées avant l’arrivée des dernières participantes. Et, je pense que c’est un geste qu’elles apprécient. »
La performance impressionnante de certaines participantes, comme la gagnante de la course d’Amiens cette année, illustre que le défi personnel est propre à chacune. Au vu de son jeune âge, le chrono d’Eloïse Evain, en catégorie Espoir, de l’Amicale du Val de Somme, laisse présager un avenir prometteur. Dans cet élan de performance, l’agence Golazo Events, organisatrice de La Parisienne, a lancé une nouvelle épreuve : le 10 km, en réponse à de nombreuses demandes des participantes. Depuis sept ans, plusieurs formats sont proposés : un 7 km, un 10 km, et une épreuve de marche. Les habituées de l’événement comme les nouvelles participantes peuvent ainsi se mesurer sur une distance officielle, qui rencontre un vif succès auprès des finisheuses du 7 km de l’année précédente, ainsi que des plus expérimentées qui entraînent leurs amies dans l’aventure. « Pour certaines, passer du 7 au 10 km est un véritable exploit, et tant mieux », affirme Jennifer. La Parisienne représente parfois le coup de pouce dont les femmes ont besoin pour se lancer.
✔ La symbolique a un réel impact. La Course Solidaire Féminine d’Amiens se déroule toujours autour de la date emblématique du 8 mars, journée consacrée aux droits des femmes. « La règle d’origine, c’est le dimanche qui suit le 8 mars, ou le jour-même si cela tombe un dimanche », précise Jean-Yves Evrard, responsable de l’organisation pour l’US Camon. D’autres événements féminins ont choisi le mois d’octobre, comme Odysséa, une course solidaire directement liée à Octobre Rose, la campagne annuelle de sensibilisation au dépistage du cancer du sein. Pour rester dans la dynamique féministe portée par l’association Femmes Solidaires, chacune des participantes a reçu un « sifflet anti-relou » à l’arrivée, un gadget utile en cas d’insécurité dans la rue. Les cadeaux offerts varient, mais restent adaptés, dans leur manière de faire écho aux problématiques féminines ou aux tendances mode. Après avoir franchi la ligne d’arrivée, les coureuses de la Sarabande des filles de La Rochelle, ont reçu des chaussettes léopards. Suite à quelques débats entre les femmes de différentes générations au sein de l’association, le motif léopard l’a emporté, et s’est donc vu intégré les t-shirts des bénévoles, ainsi que les lots distribués à l’arrivée.
Le succès vient donc de ce besoin de décrocher du rôle de femme, de mère, de cheffe. Il reflète aussi l’envie de se faire plaisir, en prenant soin de soi et de son corps. S’inscrire à une course signifie s’entraîner, ce qui donne l’élan nécessaire pour pratiquer régulièrement un sport que l’on peinait à maintenir.
| Des courses qui cartonnent… mais qui peuvent disparaître
Malgré le succès des courses féminines, certaines font face à de réelles difficultés pour perdurer. La course La Duchesse de Nantes avait rassemblé 1 500 coureuses lors de l’édition 2022, année où un record de dons a été récolté. Un euro par inscription, ainsi que des dons complémentaires, avaient été reversés à l’association Endofrance. Malheureusement, après le franc succès des années précédentes, diverses contraintes, liées à la pandémie en 2020, aux conditions climatiques en 2023, et à des raisons non communiquées en 2024, ont empêché la tenue des deux dernières éditions. Pour faire face à ces aléas, les organisateurs doivent trouver des solutions, ce qui n’est pas toujours évident. Ainsi, La Duchesse a cessé d’exister, du moins pour le moment.
D’autres, au contraire, fonctionnent très bien. Comme le raconte la représentante de Femmes Solidaires : « Malgré une reversement pas énorme, je pense que la course a toujours été bénéficiaire. » Depuis que l’association perçoit des subventions, il lui est plus facile d’intervenir financièrement dans l’organisation de la manifestation. Pour la course de mars 2025, la jauge a été atteinte très rapidement, obligeant à refuser de nouvelles inscriptions. Le record de participation a été largement battu avec 426 athlètes classées. La Sarabande des Filles de La Rochelle enregistrait aussi une hausse impressionnante du nombre de participantes, malgré le passage de deux épreuves, accueillant chacune 1 500 personnes (5 km et 10 km), à une unique course de 7 km. La présidente de l’association confie: « On a réduit la jauge à 3000, et en 18 jours, on était complets. J’ai fait refus sur refus, j’ai ouvert des listes d’attente que je n’ai même pas pu satisfaire ». La Parisienne affiche, elle, un taux de renouvellement de 50 % chaque année. Nombreuses sont celles qui découvrent l’événement pour la première fois, mais beaucoup reviennent l’année suivante. Une preuve du succès de cette course, qui a conquis les cœurs avec plus de 20 000 participantes ces dernières années.

| Ces courses perpétuent-elles certaines idées reçues ou cherchent-elles à les dépasser ?
La question mérite d’être posée. D’un côté, ces événements sportifs exclusivement réservés aux femmes ont permis de lever des freins à la pratique : sentiment de sécurité, ambiance bienveillante, format accessible, solidarité entre participantes, etc. Certaines, comme La Parisienne, existent depuis plus de 25 ans et rassemblent des dizaines de milliers de femmes chaque année, prouvant qu’elles sont nécessaires.
Au sein du club de l’US Camon, une section féminine est née en parallèle de la création de la Course Solidaire Féminine. Récemment, les licenciées ont demandé la ré intégration des entraînements mixtes, car elles désiraient s’entraîner avec leurs homologues masculins. Certaines y voyaient un moyen de progresser (d’être lièvrée), ainsi qu’un aspect de sociabilité : celui de partager une pratique sportive, peu importe le sexe.
Organisée des courses réservées aux femmes, n’est-il pas aussi risquer de les mettre à l’écart du monde sportif ? Cela ne contribue-t-il pas à véhiculer une image réductrice de la femme sportive, qui participerait à une course uniquement pour son ambiance, son côté distrayant et relaxant, sans chercher la performance ? Pendant ce temps, les hommes continueraient à s’approprier l’espace sportif en visant exclusivement la performance, sans se détourner de leur objectif et en oubliant l’aspect humain de l’événement.
Peu importe ce que certains en pensent, les courses féminines offrent un terrain propice à la performance, qu’il s’agisse de mener une distance de bout en bout ou de viser un chrono pour atteindre ses objectifs de la saison. Si elles perdurent, c’est bien qu’elles répondent à un besoin et offrent un espace où les coureuses se sentent à leur place.
Avec le développement de la course à pied au féminin, il est conseillé de faire régulièrement le point sur l’intérêt de ces événements, ce qu’ils impliquent et ce qu’ils suscitent auprès du public concerné. Aujourd’hui, il est évident que ces courses offrent un espace dédié aux femmes, encore trop rare ailleurs, leur permettant de gagner en confiance, de se dépasser, et pour l’une d’entre elles, de franchir la ligne d’arrivée en première position. La priorité reste de répondre aux besoins des femmes, qui « ont parfois besoin de se retrouver entre femmes dans un contexte où les hommes prennent beaucoup de place », conclut la présidente de Femmes Solidaires.
| Pour aller plus loin
➜ Lire notre article : « Une foulée après l’autre : ensemble, les femmes (re)mettent leurs baskets »