"Flirter avec la mort" : Notre grande enquête sur la hausse du nombre de coureurs © ASO / Marathon de Paris

Running : Notre grande enquête sur la hausse du nombre de coureurs

CommunautéEnvironnementPratiquesStrava
22/06/2025 11:40

Impossible de le nier. La course est pied s’est imposée comme l’une des disciplines les plus prisées par les Français. Tous les indicateurs le montrent : le running connaît un succès grandissant dans l’Hexagone. À partir de ce constat indéniable, David Le Breton, professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg et Olivier Bessy, sociologue spécialiste de la course à pied, énumèrent les différentes raisons qui poussent bon nombre de pratiquants à vivre de nouvelles aventures grâce à ce sport.


| De la postmodernité à la transmodernité

Des chiffres qui donnent le tournis. Selon l’Observatoire du running, en 2025, plus de 12 millions de Français ont enfilé leurs baskets de course à pied. Pour comprendre l’engouement croissant pour cette discipline, « Il faut remonter aux années 1970 » selon Olivier Bessy, chercheur au laboratoire TRanstions Energétiques et Environnementales (TREE) et spécialiste de la course à pied. « Cette discipline casse les codes. Les femmes se mettent à courir. On assiste à un nouveau rapport au corps avec une nouvelle façon de se penser sportif. Il s’agit d’assouvir son besoin de liberté, d’autonomie », abonde le Palois. « Un style de vie, un engagement dans le monde, un art de vivre », résume son collègue David Le Breton, professeur d’université émérite de sociologie à l’université de Strasbourg.

L’hypermodernité succède à la postmodernité à la fin du XXè siècle, dans les années 1990. Un changement de cadre axé sur les pratiques extrêmes. « Les motivations de la première révolution demeurent présentes. Celles de la deuxième viennent s’ajouter. Elles ne les remplacent pas », avertit Olivier Bessy, lui-même athlète accompli. « Moins de gens sont concernés. L’objectif est ici de vivre une expérience, se sentir vivant, tirer des bénéfices, flirter avec la mort comme c’est le cas dans les ultra-marathons », atteste celui qui a participé à la Diagonale des fous à trois reprises. Le dicton « plus vite, plus haut, plus loin » y prend alors tous son sens. « Le marathon est un jeu avec la douleur. On se prête délibérément à l’effort jouissif dans la mesure où il est choisi », prolonge son confrère.

La troisième période, dénommée la transmodernité, daterait de la crise des sub-primes de 2008 selon Olivier Bessy. Elle invite à un questionnement sur le sens de la pratique du running. « Un nouveau rapport aux autres et à l’environnement apparaît, entre confrontation et immersion. Les courses participent à la construction identitaire », remarque l’auteur de Courir – de 1968 à nos jours. « Cette phase est hybride voire incohérente, entre logiques d’accélérations et de décélérations, en tensions entre pratiques minimalistes et maximalisation. »

Impossible de le nier. La course est pied s'est imposée comme l'une des disciplines les plus prisées par les Français. Tous les indicateurs le montrent : le running connaît un succès grandissant dans l'Hexagone. À partir de ce constat indéniable, David Le Breton, professeur émérite de sociologie à l'université de Strasbourg et Olivier Bessy, sociologue spécialiste de la course à pied, énumèrent les différentes raisons qui poussent bon nombre de pratiquants à vivre de nouvelles aventures grâce à ce sport.
Olivier Bessy © Étienne Follet

| « Le corps rendu passif fait entendre ses exigences »

David Le Breton ne mâche pas ses mots. « L’humanité est assise. Derrière son ordinateur, derrière le volant de sa voiture. Le corps exige la dépense, l’engagement physique », souffle-t-il alors qu’il s’apprête à s’envoler dans le Sud pour marcher, son havre de paix. « Le téléphone portable ravage notre vie. » Pour échapper à l’immobilité, les Français se penchent donc sur la course à pied, pour « trouver une forme de liberté ». Une aspiration lancée pendant le Covid qui ne s’est jamais démentie. « Beaucoup de gens couraient dans le kilomètre qui nous était impartis », se remémore l’anthropologue.

Depuis quelque temps, Olivier Bessy constate une ambiguïté dans la pratique de ce sport. « Les valeurs de l’hypermodernité sont remises en question. Certains prônent la sobriété, la simplicité parfois en boycottant la course, qui sont des choix presque philosophiques. Mais dans le même temps, on subit des injonctions à consommer. Courir à un prix. La course sur route devient très chère. C’est le reflet de notre société : paradoxale, contradictoire. »

Celui qui s’apprête à publier Courir Sans limites – La révolution de l’Ultra-trail (1990-2025) en juillet prochain insiste également sur l’importance croissante des réseaux sociaux. « Nous sommes sans cesse en train de se comparer. Certains vont même jusqu’à engager un jockey. Strava est l’incarnation à son paroxysme. Certaines personnes courent pour le regard des autres. C’est l’effet de masse. » « Les réseaux sociaux incarnent un monde de l’autre sans autres, ils exorcisent ces derniers en les réduisant à des signes en contrôlant le contact, sans responsabilité à leur égard, sans être encombré de leur présence », écrit David Le Breton dans son ouvrage La fin de la conversation ? – La parole dans une société spectrale paru en 2024.

Impossible de le nier. La course est pied s'est imposée comme l'une des disciplines les plus prisées par les Français. Tous les indicateurs le montrent : le running connaît un succès grandissant dans l'Hexagone. À partir de ce constat indéniable, David Le Breton, professeur émérite de sociologie à l'université de Strasbourg et Olivier Bessy, sociologue spécialiste de la course à pied, énumèrent les différentes raisons qui poussent bon nombre de pratiquants à vivre de nouvelles aventures grâce à ce sport.
© David Le Breton

| La mixité sociale, un mythe ?

Si l’on assiste à la « sortie d’une époque contraignante », avec un « changement de l’image de la course à pied stakhanoviste », qui sont ceux qui répondent le plus à l’appel du macadam ? « La course à pied nécessite une vie quotidienne organisée. Les innombrables métiers d’immobilités ont ce désir de retrouver le coeur battant du monde », pointe David Le Breton. « La recherche de performance pour les catégories socio-professionnelles les plus favorisées dans leur métier se traduit dans la course à pied », poursuit Olivier Bessy.

« Au Marathon de Paris, le nombre de CSP+ est supérieur à celui de Province. » À l’ultra trail du Mont Blanc à Chamonix, la mixité sociale est encore moins représentée, « seulement le haut du panier ». L’image de l’évènement permet à chacun d’en tirer des bénéfices. « Nous allons raconter ses péripéties, rencontrer des personnes, prendre des rendez-vous pour les futures courses », relance David Le Breton. « Il n’y a pas de soi sans l’autre. »

Entre recherches de performance, de plaisir, de bonheur, la course à pied offre ce qu’il y a de plus beau : la liberté. Une liberté qui ne cesse de muter, la faute aux réseaux sociaux et aux applications de running, qui amène « l’hyper-individu contemporain » à percevoir « de manière accessoire son environnement physique et humain » (La fin de la conversation ? – La parole dans une société spectrale, David Le Breton).

Prêt à rejoindre les plus de 12 millions de Français coureurs ? Vous souhaitez vous lancer mais vous n’avez encore pas tous les tips ? Pas de problème, Marathons.com vous a concocté une liste des 10 erreurs à éviter en course à pied.


Renaud Chevalier
Journaliste

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