Une Samarienne, championne de France du 100 km à Amiens
En petite robe et sandales à talons, Virginie Durand a troqué sa tenue de course pour un rendez-vous dans un café, à deux pas de la cathédrale d’Amiens. Les bras chargés d’un classeur imposant, la championne de France du 100 km en catégorie Master 4 s’installe face à moi, prête à raconter son histoire avec la course à pied. Peu sous les projecteurs, cette Samarienne d’une cinquantaine d’années cache pourtant des ressources insoupçonnées. Détentrice d’un unique titre pour l’instant, elle ne compte pas s’arrêter là et promet encore de belles performances.
« Si je ne cours pas deux jours, je ne suis pas bien », confie Virginie. Son histoire avec la course a commencé il y a plus de 30 ans, mais a vraiment pris forme il y a une quinzaine d’années, un mariage sportif bientôt fêté en noces de cristal.
Le 18 mai 2023, à Steenwerck, Virginie passe à côté du titre de championne de France du 100 km. Après 9h15 d’effort, un superbe chrono personnel à la clé, elle découvre qu’elle ne peut pas être titrée… car elle n’est pas licenciée en club. Une vraie frustration, mais qui l’a poussée à rebondir, malgré une pratique qu’elle revendique toujours très solitaire : « Mon long, je le fais toute seule. Il suffit de courir, c’est aussi simple que ça. »
Autodidacte, donc, Virginie finit par avoir son moment de gloire plus d’un an plus tard, le 12 octobre 2024, dans la Somme. Le parcours plat l’emmène d’Amiens à Camon, puis jusqu’à Épagnette. Cette fois, licenciée à Courir à Abbeville, elle remporte enfin le titre national en catégorie Master 4, bouclant l’épreuve en 10h01, malgré des conditions météo hostiles. « Là, tu te bats contre toi-même. C’est toujours contre toi-même, mais là… il pleuvait, il faisait froid. J’ai eu mal aux jambes tout de suite… enfin, au 70e km, on se comprend. » Au classement général, elle termine 64e sur 360 partants, un résultat impressionnant pour une coureuse aussi humble que déterminée.
| La naissance d’une passion
Enfant, elle découvre tôt une passion pour la course à pied. Pas forcément performante, ce qui compte, c’est le plaisir et l’évasion. En revanche, la boue, très peu pour elle. « J’aimais courir, mais pas les cross. », raconte-t-elle.
Accostée puis poursuivie par un homme lors d’un de ses footings, Virginie se décide enfin à rejoindre un club à 40 ans — même si elle continue, en grande partie, à s’entraîner seule. En constatant qu’elle suivait le rythme du groupe sans difficulté, et avec plus de temps pour elle, Virginie s’y investit pleinement. Et cette fois, avec acharnement. Elle commence donc à participer plus régulièrement à des courses officielles.
Un 10 km en 43 minutes, le semi-marathon du Grand Paris bouclé en 1h45, avec « les poils qui se hérissent » à l’arrivée : les chronos commencent à tomber. « Plus je courais longtemps, plus je sentais que j’étais performante », explique la fondeuse, attachée à l’aspect solitaire de la course à pied qui s’était imposé à elle à ses débuts.
Lorsqu’un groupe prépare un marathon en Bretagne, elle les accompagne pendant la préparation, mais ne se sent pas prête à franchir le cap. Le jour J, elle a la sensation de passer à côté de l’aboutissement de plusieurs mois d’efforts. « Je me suis dit : bon, allez, je me lance ! », raconte la routarde, qui a participé à son premier marathon à Nantes, l’année suivante. Vers 44 ans, le prestigieux marathon de Paris attire son attention. « Je me suis dit que pour le même montant, je pouvais faire un 80 km… alors j’ai choisi l’Éco-Trail. C’est comme ça que tout est parti en sucette ! » (rires) Elle enchaîne alors avec un 110 km, s’entraînant « beaucoup ». Plus les distances s’allongent, plus la préparation devient exigeante.
Arrive une période où la vétérane quitte progressivement le macadam pour s’orienter vers le trail. Un virage étonnant, quand on se souvient qu’à ses débuts, cette passionnée de course nature n’éprouvait aucun attrait pour les cross. « Ce n’est pas la même chose. On n’a pas la même vitesse. Et puis, si on a envie de marcher, on peut… même si évidemment, selon notre niveau, on ne marche pas, ou le moins possible », précise-t-elle.

| Un rythme de vie autour de la course à pied
Pendant cette saison estivale de transition, Virginie participe à une à deux compétitions par mois. Moins attirée par le trail ces dernières années — conditions difficiles, risque de chute, terrains boueux qui lui rappellent les cross qu’elle n’a jamais aimés — elle s’est tournée vers la course sur route, plus stable et lisible, où elle s’épanouit pleinement.
Quand elle n’a pas de grosse compétition, Virginie court presque tous les jours. La première semaine de juin, elle a totalisé 150 km en sept jours, et 200 km en dix jours, sans dépasser 20-25 km par sortie. « La semaine dernière, il a plu tout le temps », dit-elle. Qu’il pleuve ou vente, elle court toujours, même tard le soir. Sa technique : un petit goûter avant pour tenir l’effort. Côté parcours, elle privilégie des boucles sécurisées autour d’Abbeville, le long de la Somme, jusqu’à Épagnette ou Pont-Rémy, maintenant qu’il fait jour plus tard, ce qui est plus rassurant.
Avec Indochine, Taylor Swift, ou parfois une série TV en fond, elle s’occupe pendant ses longues sorties. Elle garde aussi une séance de piste hebdomadaire avec le groupe le mercredi : « Au début, ça a déclenché ma vitesse. Mon corps s’est habitué à la difficulté. Quand on fait du long, le corps souffre un peu, et le mental travaille. » Virginie est une vraie accro du bitume, souvent soutenue lors de ses fins de course par sa petite-fille Garance qui court avec elle les derniers mètres, et par son « petit-ami ».
« Quand je cours, je me sens bien. Il y a la nature, on regarde, on profite. Quand ça devient dur, je me mets dans ma bulle, je pense à ma famille, mes amis… Je me raconte des histoires dans la tête, et ça continue, je tiens. »
Virginie Durand
| Un amour inexplicable
« Quand je cours, je me sens bien. Il y a la nature, on profite. » C’est ce qui attire beaucoup de néo-coureurs : l’air frais, les paysages, mais aussi « l’adrénaline ». « T’as ton petit défi intérieur qui te dit : ‘je vais y arriver’ », explique Virginie. Ne plus se contenter de viser la victoire féminine, mais ambitionner le classement général : voilà ce que permettent les courses de longue distance. Elle est fière de pouvoir « avoir les hommes à l’usure ».
Pour gérer les moments difficiles, elle partage ses astuces : « Quand ça devient dur, je me mets dans ma bulle, je pense à ma famille, mes amis… Et ça continue, je tiens. » Elle n’explique pas toutes ses sensations. « Au début, quand j’avais mal, je pensais à une autre partie du corps pour oublier la douleur, et ça passait. C’est fou. » Courir, c’est un travail physique et mental.
Cela fait 13-14 ans qu’elle est passionnée. Lors d’une infection aux gros orteils, elle a même découpé sa chaussure pour continuer. « Parfois, on se demande si on va bien », rit-elle, avant de conclure : « Après un 100 km, je suis bien. Le lundi, je pars en footing, au grand dam de ceux qui pensent que je suis folle. »
| Sa force : courir longtemps
Virginie ne court jamais sans son équipement fétiche : son vieux sac toujours avec elle, contenant couverture de survie, biscuits concoctés pour l’occasion, fruits secs, boissons sucrées maison (miel ou sirop d’agave, car elle est intolérante au lactose)…
Plus la distance est longue, plus Virginie se sent à l’aise dans ses baskets. Pour elle, courir un marathon n’est pas plus éprouvant qu’un 10 km, et paradoxalement, la douleur est parfois plus intense sur les courtes distances où le cardio s’emballe rapidement. Lors des efforts prolongés, comme les courses de 6 ou 24 heures, son corps s’adapte naturellement.
Sur un 6 heures, elle fait de courtes pauses d’une minute tous les 10 km pour boire et manger, puis repart. Sur un 24 heures, son allure varie, oscillant entre 4’45’’ et 5’30’’ par kilomètre selon la phase de la course, maintenant environ 12 km/h pendant les 50 à 70 premiers kilomètres avant de ralentir. « Je finis parfois à 6 minutes le kilomètre sur un 24 heures, je laisse mon corps décider », confie-t-elle. Son corps sait instinctivement où se situe la limite : « Sur un 5 km, tu n’en peux plus à la fin. Sur un 10 km, tu es mort au bout. Pour le 100 km, c’est pareil à la fin. Sur les 6 heures, j’aurais pu continuer, j’étais prête pour bien plus. »
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| Préserver le souvenir
Elle garde tous ses dossards, rangés dans un classeur. Après chaque course, Virginie prend le temps d’écrire son ressenti. Comme une blogueuse, elle partage ses récits sur son fil Facebook avec les amis rencontrés lors des différentes courses. « Je fais toujours un petit texte accompagné de photos, que j’imprime ensuite : ce sont des souvenirs. » Des souvenirs bien préservés, comme cette photo qu’elle me montre en page de garde du Roadbook du Trail des Pyramides Noires.
Parmi ses meilleurs souvenirs, la routarde cite justement ce trail à Oignies, dans le Nord. Émerveillée, elle raconte ses 110 km parcourus en 13h50 : « Tu pars en pleine nuit, et puis tu montes dans le noir, tu ne sais pas trop ce qui se passe, tu es seule et pourtant c’est très vivant. Quand la nuit s’arrête, c’est magnifique : tu vois les terrils, la nature, les oiseaux, tu entends tout. » Pas informée qu’elle figurait parmi les premières, elle a terminé 4e au scratch et 1ère féminine. « Courir sur d’anciennes mines, c’est lunaire. »
Elle évoque aussi son dernier marathon, celui de Paris, où elle a battu son record personnel sur « un parcours magnifique, avec toujours plein de monde pour encourager ». 3h20 de bonheur pour cette Abbevilloise qui n’était « pas dans le bon sas, pensant faire 3h30 », ce qui l’a obligée à slalomer entre les coureurs.
| L’avenir droit devant
Le 28 juin prochain, Virginie s’alignera sur un 24 heures, en espérant « borner les 200 ». Elle veut prendre sa revanche sur une première expérience frustrante, à Eppeville en 2018, entachée par un souci de comptage. « Jusqu’à 7 h du matin, j’étais première, mais à l’arrivée, j’avais 178 km, donc moins que ce qu’indiquait ma montre : 186 km. » Son ton trahit encore une certaine amertume, mais aujourd’hui, elle est confiante.
Lors de notre rencontre le 12 juin, elle venait de finir son dernier gros bloc d’entraînement et s’apprêtait à réduire le kilométrage en vue de la course. « Trois semaines avant, je fais toujours un gros bloc. La dernière semaine, je vais essayer d’y aller doucement. Ça va me démanger. »
Ce prochain 24h n’est pas labellisé, donc aucun titre en jeu. « À la base, je m’en fiche que ce soit labellisé. Je ne suis pas très compétition. Je regarde surtout la proximité, pour pouvoir rentrer facilement après. » Mais son club l’encourage à s’inscrire à des 24h labellisés, car elle repart rarement sans une médaille autour du cou.
Plusieurs titres sont en ligne de mire pour la Samarienne. Le 14 septembre 2025, elle participera aux Championnats de France de semi-marathon à Auray-Vannes, avec l’ambition de décrocher un nouveau titre dans sa catégorie. « C’est pas bien, mais j’ai regardé avant si ça valait le coup de se déplacer… et j’ai mes chances », glisse-t-elle avec un sourire.
À Abbeville, le 31 mai dernier, elle a également décroché sa qualification pour les Championnats de France du 10 km, et ça tombe bien : la course aura lieu à Troyes, pas trop loin de chez elle. Un vrai avantage pour la championne Master 4, car avec son travail, difficile de faire un aller-retour éclair dans le Sud pour une simple course, sans parler du budget que cela représente.
« À la base, je m’en fiche que ce soit labellisé ou non. Je ne suis pas très compétition. Je regarde surtout la proximité, pour pouvoir rentrer facilement après. »
Virginie Durand
Virginie Durand ne méritait-elle pas une belle mise en lumière sur sa vie de coureuse hors pair ? Une passion aussi profonde pour la course à pied se célèbre. Dans moins d’une semaine, la passionnée repoussera ses limites corporelles pour tenter de franchir la barrière symbolique des 200 km lors du 24 heures. Nous lui souhaitons le meilleur. À suivre…