« Je courais 12 heures par jour » : Joan Roch, l’homme aux défis improbables
Alors qu’il a fait de la course à pied son moyen de locomotion pour se rendre à son travail à Montréal depuis 13 ans, Joan Roch est aussi un homme aux grands défis, digne des plus grands de l’histoire. Pendant près de deux heures, le Québécois d’adoption s’est entretenu par visio-conférence sur son évolution, ses peurs, ses exploits… Un récit fascinant.
Une histoire folle. Une perle rare. Une vie hors du commun. Été comme hiver. Jour comme nuit. Joan Roch a fait de la course à pied sa thérapie. Sa raison de s’exprimer, de s’affirmer, de se révéler. Pendant trois ans, sortir de son lit a été un casse-tête. Un premier marathon en 2007, l’Ultimate XC XTrail de Saint-Donat en 2010. Le père de famille ne pouvait conjuguer ses heures d’entraînement et son métier d’informaticien à Montréal. Plus le temps, trop d’efforts. En janvier 2012, le coureur à la longue tignasse se lance dans une aventure inattendue : se rendre à son travail en courant. Une bonne résolution ultra-efficace, alors qu’il venait de se faire voler son vélo. « J’habitais à 10 km », raconte l’intéressé. « Je le faisais matin et soir, cinq fois par semaine. J’avais la chance d’avoir des douches au bureau. »
Sans pression ni chrono, l’ultra-marathonien arpente la métropole de la province de Québec dans ses moindres recoins. Pendant un an, il se filme et en fait une vidéo virale. Le finisher du Grand Raid de la Réunion 2015 (42h42’30, 355e) en garde des souvenirs mémorables, dont ces moments magiques sur le fleuve gelé de Saint-Laurent. « Je me sentais libre. J’étais tout seul. Juste en faisant 200 mètres, tu changes de planète. » Une renaissance. « Plus les conditions étaient mauvaises, plus j’étais impatient d’aller courir. J’oubliais même que j’étais en train de courir. »
Des allers-retours significatifs. Aux Etats-Unis, l’athlète décroche un podium sur le 100 miles du Virgil Crest Ultras 2013 (25 h 40’00), dans des conditions dantesques (seulement 18 finishers, dont 2 femmes). « L’organisateur m’a informé que j’étais arrivé troisième. Je ne m’y attendais pas. » Après huit essais pour passer sous les 3 heures au marathon, le conférencier atteint enfin le graal sur la distance reine à Toronto en 2h48’32 en 2014. L’année suivante, il réalise quatre ultra-marathons, dont l’UTMB (33h02’02, 208e). La fin d’un premier acte qu’il retrace dans son ouvrage Ultra-Ordinaire : Journal D’un Coureur.
Après un arrêt en 2016, le Poitevin d’origine reprend des couleurs pendant la pandémie. Un défi insensé. Son propre défi. « J’ai choisi comme point de départ la Gaspésie (péninsule au centre-est du Québec) jusqu’à Montréal », relève-t-il. « Ce fut une révélation. C’était vraiment cool de s’organiser tout seul. Je n’avais pas des courses qui me limitaient. » Seul avec son sac à dos, ticket d’autobus dans la main, sandales aux pieds, l’aventurier prend son envol en 2020.
| « Agréable ? Non. Intéressant ? Définitivement. »
« Les gens n’avaient rien d’autre à faire que de m’aider », sourit le quinqua. Le long de la route 132, Joan Roch est hébergé, suivi par des inconnus en voiture pour le ravitailler. « Si je demandais un café glacé, j’en avais un 5 km plus loin », se remémore-t-il. Dès la fin de la deuxième journée, la maladie le rattrape. « J’avais la jambe enflée. C’était une infection cutanée, bactérienne. » Après un rendez-vous chez un spécialiste, le médecin lui donne son feu vert pour poursuivre son expédition. « Je courais 12 heures par jour. J’avais mal à chaque pas. »
« J’ai assisté à un changement de fonctionnement de mon cerveau », abonde-t-il. Après plus de 1100 km avalés sur le bitume en 14 jours, le Québécois d’adoption parvient à ses fins. « Agréable ? Non. Intéressant ? Définitivement. » Un challenge colossal non sans séquelles psychologiques. « J’ai mis deux mois pour reprendre l’entraînement et désapprendre à mon cerveau que courir ne faisait pas mal. » Curieux, le fondeur en veut toujours plus. En 2023, Joan Roch entreprend de boucler les 8 000 km qui séparent Key West, en Floride, de Forillon, en Gaspésie. Sa course entreprise de Percé à Montréal a l’air d’une petite sortie…
Après 3700 km et 105 jours, l’homme aux yeux bleu décide de mettre un terme à son périple. « Le défi n’était plus présent. » Une performance enrichissante. « J’ai appris à ralentir. Sur le sentier des Appalaches, si tu passes trop vite, tu rates des échanges magnifiques. Il faut profiter de ces histoires. » Depuis la Covid 19, la course utilitaire est moindre, télétravail oblige. « J’ai également commencé la musculation », glisse-t-il, les biceps saillants. Alors qu’il était jusqu’alors réticent de courir en groupe, lui et sa femme Anne ont gouté à la magie du collectif depuis quelques années. Cet été, la bande vadrouillera en France dans le paradis des pistards… à Font-Romeu. On vous rassure : il ne courra pas 100 km tous les jours.
Loin des yeux, près du coeur. Sa belle-fille Laure et ses enfants Aimée, Maël, Aurélie, 11, 13, 15 et 17 ans ont assisté à l’émergence d’un coureur ultra-ordinaire, comme il se définit. Joan Roch, c’est l’histoire d’un homme qui court après la liberté. Il n’a couru plus qu’il n’a conduit. La métaphore de sa vie.
Renaud Chevalier
Journaliste
