Avec Les 42, Malek Boukerchi emmène 26 jeunes courir le Marathon de New York
Il y a des rencontres spéciales dans la vie. Pour les jeunes qui rentrent en contact avec l’association « Les 42 » et son président fondateur Malek Boukerchi, c’est certainement le cas. Après avoir emmené une vingtaine de jeunes à Athènes en 2023 pour disputer le marathon, l’association accompagne 26 jeunes jusqu’au Marathon de New York le 2 novembre prochain. Interview avec Malek Boukerchi, anthropologue qui amène du rêve dans le réel. Et on a envie de le suivre.
Il existe encore des rêveurs collectifs. Si le rêve est personnel, il peut toutefois être partagé. Malek Boukerchi, anthropologue de formation, philo-conteur, écrivain et conférencier inspirationnel, a pris la voie du partage il y a quelques années. Après avoir emmené une vingtaine de jeunes courir le Marathon d’Athènes en 2023, il réitère cette année avec le Marathon de New York. Rencontre avec le Président des 42, ultra-marathonien de l’extrême qui rêve d’une société unie.
| Vous qui êtes un baroudeur, quel chemin a arpenté l’association les 42 ?
Dans la vie, tout est question de chemins, sur lesquels tout est question de rencontres, de choix et de circonstances. Ces dernières, on ne les maîtrise pas, mais la puissance dans nos vies provient des rencontres et des choix que l’on fait. L’histoire de l’association ne déroge pas à cette logique. D’abord, un concours de circonstances : tout a commencé pendant le covid qui a tout arrêté pour l’ultra marathonien que j’étais. Plus de course. Je ne conçois pas la vie sans une activité physique, on a besoin de bouger, le corps demande du mouvement. Je devais trouver quelque chose qui se mariait avec mes autres activités professionnelles. Quand les frontières se sont à nouveau ouvertes, je suis intervenu en tant que conférencier anthropologue au Maroc, fin 2021. De jeunes enfants sont venus me voir sur une course que je parrainais et c’est eux qui m’ont donné l’idée, en me lançant : « pourquoi tu ne crées pas un club, tu connais plein de choses, on vient s’entraîner avec toi… » Je ne suis pas marocain mais franco-algéro-kabylo-alsacien, fier de mes identités multiples, je n’ai pas de brevet d’état mais une praxis opérationnelle de terrain. Ils ont semé une graine ces jeunes marocains… Fin 2021, je suis rentré en France et j’ai recommencé à m’entrainer pour le marathon par plaisir. Ce qui m’intéresse aujourd’hui ce n’est plus la performance, c’est le plaisir de faire grandir les gens. Comment on bascule du solitaire au solidaire ? Passer du je au nous. C’est une logique qui me passionne et dans laquelle je crois. Les 42 vient de là. Le rêve, c’est de faire courir 42 jeunes en situation de vulnérabilité, de 18 à 28 ans, sur marathon. On y est pas encore mais on grandit. La première édition on l’a réalisé sur le Marathon d’Athènes.

| Une première édition symbolique…
Oui, avec le Marathon d’Athènes, et c’était super comme ça. Nous sommes partis à 30 personnes (18 jeunes et 12 accompagnateurs). Sur cette édition, en tant qu’anthropologue, j’ai pris beaucoup de plaisir à raconter l’origine de la course, de la bataille de Marathon. Après cet Alpha j’ai cherché l’Oméga. New York, la Mecque des marathons. Il y a la dimension de voyage aussi dans notre projet. Cela leur donne de l’énergie de rêver à Athènes ou New York. Surtout pour ceux qui n’ont jamais trop bougé. Les jeunes à qui tu dis qu’ils vont faire un marathon, la première fois ils ne te croient pas. Mais nous travaillons en s’amusant et on va au bout. Je dis nous car l’association s’est structurée depuis la première édition, à Athènes en 2023. J’ai démarré seul mais j’ai été depuis chercher d’autres marathoniens. On est toute une équipe autour des jeunes. Et comme disait la philosophe théologienne Thérèse d’Avila : « ll ne s’agit pas de penser beaucoup mais de beaucoup aimer . » Tout l’amour qu’ils n’ont pas reçu du système social français, on est là pour leur donner. Cela représente pour eux une aventure extraordinaire.

« Le marathon est une superbe école de la vie. C’est le meilleur des diplômes. »
Malek Boukerchi
| Sur quels critères choisissez-vous les jeunes ?
Les 42 prend en charge des jeunes qui ont été cabossés par le système scolaire. Autant de filles que de garçons. J’ai créé des partenariats avec des missions locales un peu partout en France pour « mettre » la main sur les jeunes concernés par des situations de décrochage. Et l’association est ouverte autant aux jeunes urbains qu’aux ruraux : je mélange la France des couleurs avec la France du terroir. Ces jeunes, je leur dis : « Venez faire un marathon », alors que certains ne sont pas sportifs du tout ! Tout ce que j’enseigne en tant qu’anthropologue, je le mets en œuvre avec l’association. Le but c’est de convaincre ces jeunes que l’on va travailler et réussir ensemble. On lutte aussi contre la sédentarisation, conséquence malheureuse des écrans. Les gens sont connectés mais ne sont pas reliés entre eux. Avec notre initiative on essaye d’amener autre chose. Ils vont aussi apprendre à aimer leur corps, et qu’ils peuvent faire de grande chose avec, peu importe les morphologies. Le seul but ensuite, c’est de finir. Le chrono, on s’en fout. Finir, c’est réussir. C’est important pour eux de comprendre que s’ils jouent le jeu, ils mettent en route tout un processus positif. Toute la projection et la préparation nécessaire à ce projet (engagement, discipline, ténacité), ils vont les réutiliser plus tard dans leur vie. Quand un chef d’entreprise voit ce genre de profil, il a confiance. Le marathon est une superbe école de la vie. C’est le meilleur des diplômes. Ils vont pouvoir dire qu’ils sont marathoniens : c’est un titre à vie.
| Et que se passe-t-il pour eux après le marathon ?
C’est la deuxième partie du projet. On s’engage à aller au bout avec eux sur le marathon mais on les aide aussi à trouver un boulot. Cette dimension socio-professionnelle du projet est très importante. Elle passe par des mentors, qui sont parrains de l’association. On ne reçoit aucune aide publique. On fait appel à des dirigeants d’entreprise qui ont des problématiques de recrutement. Ils sont nombreux à nous soutenir et ils financent l’association, les voyages, les campus. Et même plus que ça, ils se sont mis à courir aussi avec les jeunes, ce qui créé encore plus de liens ! Décathlon nous aide aussi sur la partie équipement et je les en remercie. Les chefs d’entreprise qui adhèrent au projet des 42 ont fait évoluer des choses : à l’origine, je ne pensais faire cette action que sur Paris, où je vis. Ils m’ont dit : « Ok, on te suit sur le projet mais seulement si tu cherches des jeunes sur nos territoires. Sinon ça ne marchera pas dans le temps. » Cette idée a changé la configuration territoriale des 42, à raison. Avec les jeunes on va visiter les entreprises qui nous accompagnent. Et le plus beau c’est que maintenant un bon nombre de ces chefs d’entreprise s’entrainent avec les jeunes et vont nous accompagner ! Au marathon de New York, cette année, on aura une cinquantaine de dossards. Une dizaine est réservé aux dirigeants qui vont courir avec les jeunes sur marathon, pour créer cette synergie de la reliance intergénérationnelle, car tout comme les jeunes, nos mentors sont aussi souvent des primo-marathoniens. Tous ensemble !
| Optimiste pour la suite ?
Sur les 18 jeunes que j’ai amenés à Athènes, il y en a 9 qui viennent toujours courir avec nous. Ils deviennent des ambassadeurs du projet à leur tour. Certains sont même restés des marathoniens ! Et surtout : ils sont tous insérés socialement. Cette réussite donne de la force pour continuer, ne rien lâcher. Le tissu associatif en France est superbe mais c’est un combat. J’ai une ambition pour les prochaines années : intégrer dans nos groupes des chômeurs de plus de 55 ans, pour lesquels c’est compliqué aujourd’hui. Eux aussi ont une estime personnelle brisée alors qu’ils savent faire des choses et ont une expertise, c’est terrible. On a tous besoin d’être utile aux autres. Encore une fois, un des enjeux derrière l’association, c’est le lien social, grandir ensemble, faire ensemble… Je voudrais remercier les jeunes. On leur donne mais ils nous donnent tellement en retour. Ce sont eux qui nous transforment le plus au final. Je le vois sur les accompagnateurs, les mentors. Avec Les 42, on casse la logique de l’entre-soi ! Dans notre société contemporaine, chaque milieu vit en vase clos et ça nous tue socialement. Le marathon casse tout ça et on rentre dans l’infiniment universel. On est tous les mêmes sur la ligne de départ.
Merci à Malek Boukerchi de nous avoir donné un peu de son temps précieux, à quelques semaines du départ pour New York. Si vous avez envie de vous rapprocher de l’association Les 42 pour mettre la « main à la pâte », c’est par ici. Vous pouvez retrouver sur cette page les entreprises Mentors de l’édition 2025.

Charles-Emmanuel PEAN
Journaliste