Ouganda, l’émergence d’un troisième géant du running ?
Depuis le début des années 2000, une troisième nation toque régulièrement à la porte derrière le Kenya et l’Ethiopie. Dans le sillage de Joshua Cheptegei et Jacob Kiplimo, deux champions de classe mondiale, c’est tout un pays qui se lève. Décidément, l’Afrique de l’est et ses haut plateaux est plus que jamais le cœur battant du running actuel…
Marathons.com s’est lancé cet été dans une série d’articles sur le Kenya. Puis nous avons traité l’Ethiopie. Ce faisant, nous ne pouvions pas ne pas traiter d’une troisième nation qui truste les podiums et les bons résultats depuis de longues années. L’Ouganda, pays voisin des deux géants du running, brille trop régulièrement pour qu’on l’oublie !
| Les performeurs ougandais actuels sur longue distance
L’Ouganda est aujourd’hui porté par une génération d’athlètes exceptionnels. Le nom le plus emblématique est évidemment celui de Joshua Cheptegei, né en 1996 dans le district de Kapchorwa, à l’est du pays. Champion olympique du 5 000 m en 2021 à Tokyo, médaillé d’argent sur 10 000 m lors de ces mêmes Jeux, Cheptegei détient toujours les records du monde du 5 000 m (12’35) et du 10 000 m (26’11). Ses exploits sur piste et sur route en font l’un des plus grands coureurs de sa génération. Il est d’ailleurs souvent présenté comme l’héritier des Bekele et Gebrselassie. Le coureur ougandais n’est plus qu’à une victoire en championnats du monde des deux monuments, tous les deux titrés à quatre reprises… Malheureusement, il ne rejoindra pas ses aînés lors des championnats du monde à Tokyo, ayant déclaré forfait début septembre… L’athlète n’a que 28 ans et aura encore sa chance. Aux côtés de Cheptegei, un autre prodige a émergé depuis 2019 : Jacob Kiplimo, né en 2000, tenant du record du monde sur la distance du semi-marathon… Il a en effet établi le chrono le plus rapide de l’histoire au Semi de Barcelone le 15 février de cette année, en 56’42. Dire qu’il n’a que 24 ans… Sa deuxième place au Marathon de Londres en 2025 derrière le kényan Sabastian Sawe laisse deviner encore de grandes choses. Avec lui, l’Ouganda peut rêver grand.
Chez les filles, des noms se dégagent. Joy Cheptoyek représente certains espoirs en Ouganda, ayant signé de belles saisons en 2024 et 2025. À seulement 23 ans, elle a signé en 2024 un record national du 10 km sur route (30’03 à Valence), avant de s’imposer en 2025 sur 10 km à Tokyo. Elle a confirmé aussi son potentiel sur semi-marathon, faisant d’elle l’une des figures montantes de la discipline. On a hâte de la voir à l’œuvre sur ses prochaines dates. Peruth Chemutai, championne olympique du 3 000 m steeple à Tokyo, est devenue quant à elle la première femme ougandaise médaillée d’or olympique en athlétisme. On connait l’importance de tels jalons dans une histoire sportive nationale.
| La jeune histoire du running en Ouganda
Les très bonnes performances de l’Ouganda mettent en avant les progrès d’une nation qui s’est structurée depuis une dizaine d’années. L’émergence du centre d’entraînement en altitude Kapchorwa High Altitude Training Centre, ouvert en 2014 avec l’aide du gouvernement et de la Fédération internationale, a participé au développement des athlètes nationaux. Ceux-ci n’ont toutefois pas attendu les années 2000 pour briller. La première grande figure du pays a été John Akii-Bua (1949 – 1997), champion olympique du 400 m haies en 1972 à Munich. Si sa spécialité n’était pas la course de fond, il a été le premier médaillé d’or olympique du pays et a ouvert une voie symbolique. C’est donc durant le règne d’Idi Amin Dada, chef d’État tristement connu pour sa violence, que l’Ouganda a connu son premier succès. Comme le Kenya et l’Éthiopie, l’Ouganda dispose de hauts plateaux (notamment Kapchorwa ou encore le Mont Elgon) et la culture de la course à pied ne cesse de grandir. Des athlètes comme Boniface Kiprop, champion du monde junior du 10 000 m en 2004, ou encore Moses Kipsiro, ont appelé l’émergence des deux stars actuelles du pays, Joshua Cheptegei et Jacob Kiplimo. Derrière ces résultats se cache aussi un homme, Addy Ruiter. Cet entraîneur néerlandais s’occupe de Cheptegei depuis 2015 et est également un des coachs principaux de la NN Running Team, cette formation d’élite basée au Kenya. Installé en Ouganda depuis plus de 10 ans, Addy Ruiter a participé dans l’ombre à la structuration sportive de la troisième nation de la course à pied.
Avec eux, le pays est passé du statut de nation émergente à celui de puissance confirmée.
| Un contexte toujours fragile
Malgré cette ascension, l’Ouganda reste confronté à plusieurs défis. Le premier est celui des infrastructures. Le pays ne dispose pas encore d’un réseau dense de stades et de centres d’entraînement modernes comparables à ceux du Kenya. Le Kapchorwa Training Centre est toutefois une avancée importante et toute une génération d’athlètes s’y entraînent au côté de la superstar Joshua Cheptegei. Un autre enjeu reste le financement : les sponsors privés investissent moins en Ouganda qu’au Kenya ou en Éthiopie. Les athlètes dépendent encore largement de partenariats étrangers et de leurs résultats personnels pour financer leur carrière. Cette inégalité d’accès peut freiner l’émergence de nouveaux talents.
Si le Kenya bénéficie d’une situation politique plus ou moins stable, ce n’est pas le cas de l’Ouganda. Le régime de Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, est régulièrement critiqué et de nombreux conflits émaillent le quotidien de 50 millions de personnes. Si l’État a participé au projet du Kapchorwa Training Centre, les budgets publics alloués au sport restent limités. Les succès de Cheptegei et Kiplimo ont toutefois enclenché une dynamique qui pourrait bénéficier à toute une nation dans les prochaines années. C’est tout ce que l’on souhaite pour la jeunesse de ce pays !
C’est indéniable, l’Ouganda est en train de se tailler une place durable parmi les grandes nations de la course de fond. Le pays doit encore relever des défis structurels pour consolider ses succès mais il est désormais incontournable sur la scène internationale. On attend avec impatience les prochains départs de Majors… Si le Kenya et l’Éthiopie restent les références, l’Ouganda est bien devenu le troisième pilier africain du running mondial !

Charles-Emmanuel PEAN
Journaliste