Course à pied et végétarisme : bienfaits et pièges à éviter
Sports d’endurance et alimentation sont étroitement liés. Marathoniens ou demi-fondeurs, les coureurs sont nombreux à s’intéresser à la nutrition. Levier de la performance, quête d’un mode de vie sain, le contenu de l’assiette est considéré comme un aspect essentiel de la pratique sportive. L’alimentation végétale attire de nombreux profils, dont les coureurs. Dans un contexte où les enjeux environnementaux et de bien-être animal prennent de l’ampleur, nombreux sont les athlètes à adopter une alimentation plus végétalisée. Un choix qui nécessite des connaissances, puisque les sportifs possèdent des besoins spécifiques par rapport au reste de la population.
« Il est tout à fait possible d’être végétarien, sportif de haut niveau et d’avoir tous les apports nécessaires, à condition d’optimiser ses besoins nutritionnels » explique Justine Chagnaud (@le_journal_de_la_nutrition sur Instagram), diététicienne du sport et enseignante, ingénieure en recherche et en sciences de la nutrition sportive. « Il n’y a pas de contre-indications, sauf parfois en cas de pathologies hormonales. »
« Être végétarien nécessite d’être attentif. Il est important de miser sur les différentes sources de protéines avec des œufs, des associations légumineuses-céréales comme riz et lentilles, quinoa et haricots rouges. » Celle qui est aussi coureuse, du 1500 m au 10 km, expose son point de vue. « Quand l’assiette est bien construite, il n’y a pas de problèmes pour performer en demi-fond ou dans les disciplines de fond comme le marathon », conclut la spécialiste. S’inspirer des cuisines du monde (Inde, Maghreb, Amérique du Sud, Asie) est une piste pour ceux qui manquent d’idées végétales.


Les protéines sont essentielles pour construire et reconstruire les muscles et les tissus. Les besoins en protéines varient en fonction de chacun. De multiples facteurs influencent les apports tels que le poids, la taille, le sexe, l’âge ou encore le niveau d’activité physique, selon la fréquence et l’intensité. Jade Rodriguez, diététicienne nutritionniste et athlète internationale en course de montagne précise qu’une protéine est composée de neuf acides aminés essentiels.
Dans les protéines animales, la quasi-totalité de ces acides aminés essentiels est présente, notamment dans l’œuf, qui est l’exemple parfait. Dans les sources végétales, le profil en acide aminé est incomplet. Les associations permettent d’avoir l’intégralité de ces acides aminés, ce qui permet d’éviter les carences. « Le petit épeautre est une céréale ancienne très intéressante, parce qu’elle est riche de fibres, en minéraux et en protéines complètes avec huit acides aminés essentiels. »
La coureuse en montagne et crosswoman fait part de ses conseils pour éviter les carences : « L’association la plus connue est les légumineuses-produits céréaliers, il en existe d’autres comme légumineuses-produits laitiers ou produits céréaliers-produits laitiers.»
De même, les micro-nutriments à risque de carences tels que le calcium, le fer et la vitamine B12 peuvent se retrouver dans des aliments à rajouter dans l’assiette, comme la levure de bière ou la spiruline qui sont riches en vitamines et minéraux.
| L’alimentation végétale et les sportifs de haut niveau
De nombreux athlètes ont adopté le végétarisme. Ce n’est pas une nouveauté. Vous connaissez le point commun entre ces légendes de l’athlétisme : le Français Alain Mimoun, le Tchèque Emile Zatopek, les Américains Edwin Moses et Carl Lewis ? Tous ces champions avaient une alimentation végétale.
L’ultra-traileur Scott Jurek, auteur du livre Eat & Run incarne parfaitement le coureur végan (alimentation sans produits d’origine animale.) L’Américain ne se prédestinait pas aux courses d’ultra-fond, pourtant, ce dernier s’est bâti un palmarès hors du commun.
Le natif du Minnesota s’est fait un nom dans la discipline. Vainqueur de la Hardrock Hundred Mile Endurance en 2007, sept fois vainqueur consécutif de la Western States Endurance Run (1999 à 2005), triple médaillé d’or de la Spartathlon, longue de 245 km qui rallie Athènes à Sparte (2006, 2007, 2008), mais aussi plusieurs fois vainqueur d’une multitude de courses les plus dures du monde comme la Badwater Ultramarathon dans le désert impitoyable de la Death Valley.
Scott Jurek attribue ses succès à son mental, mais surtout à son mode d’alimentation végan. Nous ne pouvons pas affirmer que ses résultats exceptionnels sont directement liés à ce qu’il consomme. Néanmoins, son cas mérite d’être souligné, au même titre que les athlètes Mimoun, Zatopek, Moses et Lewis.

Pour Justine Chagnaud, les bénéfices existent. « De plus en plus d’études sont publiées sur les bienfaits du végétarisme sur le corps, sur la digestion et le microbiote en général. Les sportifs végétariens semblent mieux récupérer et plus concentrés. » L’enseignante détaille que ce n’est pas forcément le fait d’adopter ce mode d’alimentation qui est bénéfique. « Ne pas manger de viande demande plus de réflexion dans l’assiette, mais ce sont ceux qui s’intéressent le plus à l’alimentation, à la provenance des produits, au bio, aux perturbateurs endocriniens. Forcément, ce sont des personnes qui cherchent de la qualité, donc ce sont ceux qui ont une meilleure alimentation et hygiène de vie. » S’intéresser à la qualité des aliments et à l’équilibre n’est que bénéfique pour le corps, et donc pour la performance.
« Quand on se nourrit d’aliments produits dans de bonnes conditions, on va en tirer un maximum de bénéfices. En revanche, pesticides, OGM, conditions d’élevage et d’abattage d’un animal peuvent avoir des effets néfastes sur votre organisme. » Jade Rodriguez conseille de privilégier les viandes ou poissons de qualité plutôt que la quantité. Les labels bio, labels rouges, bleu blanc cœur sont gages d’une qualité sanitaire des produits pour s’orienter.
| Le fer et les végétariens
Point crucial, le fer. Les sceptiques de l’alimentation végétale pointent souvent du doigt les carences ou les anémies liées au manque de fer. Jade Rodriguez précise qu’il existe deux types de fer, héminique (présents dans toutes les protéines d’origine animale) et non héminique (qu’on retrouve dans tous les végétaux.) « Le coefficient d’absorption du fer non héminique est moins important, donc les protéines végétariennes sont souvent moins bien absorbées », ajoute la coureuse en montagne. C’est pour cette raison que les végétariens sont parfois sujets aux carences.
« Pour favoriser l’absorption du fer non héminique, vous pouvez rajouter des sources de vitamine C à vos repas, comme les crudités de légumes et fruits crus. C’est important d’en manger régulièrement quand on ne consomme pas de viande parce que ça favorise l’absorption du fer végétal. » Quelques idées d’associations : en ajoutant simplement une entrée de crudité, un fruit cru en dessert ou encore du jus de citron en assaisonnement.
Justine Chagnaud ajoute : « on pense souvent que les carences sont liées au végétarisme, mais c’est plutôt un problème de fixation. Si carence il y a, c’est souvent indépendamment du mode d’alimentation. » La diététicienne conseille de consommer de la vitamine K (présente dans les légumes verts), d’associer la spiruline avec de la vitamine C et de miser sur les légumineuses comme les lentilles pour fixer le fer, sans oublier les céréales. « Il faut aussi consommer suffisamment d’Oméga 3, présents dans le poisson mais aussi dans les huiles et les oléagineux. C’est essentiel pour les sportifs puisque cela permet de lutter contre l’inflammation induite par l’exercice intense. »
Pour ceux qui limitent les produits laitiers, les légumes sont une alternative intéressante pour combler les besoins en calcium. « Beaucoup de personnes l’ignorent, alors que le brocoli contient bien plus de calcium qu’un verre de lait pour ne citer que cet exemple », ajoute la diététicienne.
| Nuances autour du sujet
Ne pas manger de viande présenterait des avantages et des inconvénients. Surconsommer des produits animaux peut s’avérer néfaste. L’excès de viande rouge favorise l’apparition de certains cancers et augmente les risques de maladies cardio-vasculaires (Rapport Campbell).
« Il vaut mieux éviter l’ultra-transformé et les chairs animales issues de l’élevage en batterie, qui sont de mauvaise qualité. C’est négatif parce qu’il y a beaucoup d’acides gras, d’antibiotiques, des métaux lourds et des résidus de pesticides dans ce type de sources. Ces animaux sont nourris avec de l’alimentation peu naturelle destinée à les engraisser. Ce n’est pas bénéfique pour la santé. »
Justine Chagnaud, diététicienne du sport et enseignante, ingénieure en recherche et en sciences de la nutrition sportive et athlète
Une alimentation omnivore bien sourcée ne posera pas de problèmes. On peut aussi être végétarien et rechercher des alternatives de grande surface ultra-transformées, et dans ce cas, cela ne sera pas optimal pour être en bonne santé.
« Être végétarien et sportif de haut niveau est compatible, mais il faut s’être renseigné sur le sujet et bien se connaître. Pour se lancer sur de bonnes bases, ne pas hésiter à se faire accompagner par un diététicien-nutritionniste, un médecin du sport et réaliser des bilans sanguins réguliers pour évaluer comment notre corps réagit. Nous sommes tous issus d’origines et de cultures différentes, avec des prédispositions à l’assimilation des aliments propres à chacun. Le végétarisme peut très bien convenir à certaines personnes autant que cela peut dégrader l’état de santé d’autres. »
Jade Rodriguez, diététicienne-nutritionniste et athlète internationale en course en montagne
| Témoignages d’athlètes demi-fondeurs
Chloé Duarte, athlète qui a jeté son dévolu sur les distances 1500m, 3000m et 5000m est pesco-végétarienne (alimentation sans viande mais avec du poisson) depuis huit ans. Le déclic, au lycée, lors d’une année d’échange au Brésil. « En France, la viande me dégoûtait déjà un peu, j’avais vu des reportages marquants sur les conditions d’élevage. On m’avait toujours forcée à en manger. Au Brésil, les gens en mangeaient beaucoup, et c’est à ce moment là que j’ai arrêté. »
L’élève d’Eric Dubus admet avoir eu des difficultés pour composer des assiettes complètes au début de ce changement. « Je pouvais facilement ne pas ou peu manger de protéines dans un repas », reconnaît Chloé Duarte. Une erreur qui lui a probablement provoqué une double fracture de fatigue alors que la coureuse était étudiante-athlète aux États-Unis.
« C’était difficile d’avoir des alternatives végétales là-bas », éclaire la Bordelaise qui a appris de ses expériences. Chloé Duarte a pris conseil auprès d’amies nutritionnistes pour équilibrer ses repas, en misant sur le poisson, les légumineuses, le tofu, le skyr. L’athlète ajoute à cela des compléments pour le fer et des protéines en poudre. « Depuis que je suis végétarienne, je pense que je mange mieux qu’avant », conclut la coureuse.
Barnabé Gabillet, également étudiant-athlète aux États-Unis (800 m, cross country, 10 km) est aussi végétarien. « C’était progressif et pas si réfléchi que ça », se remémore le licencié de l’Athlé 92. Tout a commencé à partir d’un défi, ne pas manger de viande pendant le mois de janvier. Sa motivation était de suivre sa mère pesco-végétarienne. « Finalement, je ne me suis jamais arrêté. Je n’ai pas mangé de viande pendant toute l’année 2019, puis en 2020, je me suis dit que la suite logique était aussi d’arrêter le poisson et les fruits de mer », relate celui qui suit un master en Business Administration. Un choix motivé par une conscience environnementale, une attention particulière sur la qualité et la provenance des produits et sur la question de la condition animale.
Avant d’être demi-fondeur, Barnabé Gabillet était triathlète jusqu’en 2019. Le coureur était curieux de savoir s’il allait ressentir des effets positifs ou négatifs avec une charge d’entraînement intense et un mode d’alimentation végétal. « Je n’ai pas vraiment ressenti de différence. Je suis surtout content de pouvoir courir comme je le souhaite et en même temps d’être en accord avec mes convictions. »
Comme Chloé Duarte, le néo-américain a vécu une année athlétique difficile dans sa carrière. Une saison sur 1500m en particulier l’a fait douter. « J’étais complètement sec au bout de 1000m ou même avant sur tous mes 1500m. Ma prise de sang a révélé une anémie. C’était forcément lié à mon régime. Depuis, je me suis fait accompagner, je réalise des bilans sanguins réguliers et je prends des compléments alimentaires », détaille le steepleur.
Au pays de l’Oncle Sam, son alimentation végétale étonne et impressionne ses collègues d’entraînement. Trouver des alternatives Outre-Atlantique n’est pas aussi évident qu’en France. « Les fruits et légumes sont plus chers aux États-Unis. C’est des choix à réaliser. Depuis que mon alimentation est végétale je cuisine beaucoup, et je fais attention à ce que je mets dans mon assiette pour couvrir tous mes besoins de sportif. »

Emma BERT
Journaliste