New Delhi, une première étape pour le sprinteur Dimitri Jozwicki en route pour Los Angeles
Auteur du quatrième meilleur temps de la saison sur 100 m dans sa catégorie (T38), le pensionnaire de l’US Tourcoing Athlétisme rêve d’accrocher une toute première médaille internationale ce week-end (27 et 28 septembre) aux Championnats du Monde de para-athlétisme. Après sa cinquième place à Paris l’an passé, qu’il qualifie de « déception privilégiée », l’ergothérapeute s’est épanché sur son retour à la compétition, son plaisir d’animer des conférences et bien sur… les Jeux paralympiques de Los Angeles en 2028.
| Les Championnats du Monde de New Delhi sont vos cinquièmes. Votre meilleur résultat remonte à Kobe au Japon en mai 2024, à trois centièmes du podium. Avec quelles ambitions arrivez-vous en terres indiennes ?
J’ai à cœur de transformer l’essai. Ça fait quelques années que je truste ces quatrième et cinquième places (Paris en 2023). Actuellement avec un quatrième temps au bilan en 10″99 (derrière les Américains Jaydin Blackwell et Ryan Medrano et le Britannique Thomas Young), j’y vais pour aller chercher une médaille. Je suis plutôt en forme, confiant. À mon avis ça va être celui qui réussira à mettre le plus de choses en place le jour J.
| Vous êtes parti en stage à Marie-Galante cet été. Avez-vous modifié votre préparation ?
La Guadeloupe c’était la première fois. Ce qui change, c’est par la force des choses la longueur de la saison. Il fallait vraiment l’anticiper. Ne pas avoir fait de saison hivernale m’a permis aussi de décompresser après les Jeux de Paris (5e en 11″13) et de prendre le temps de digérer. La saison dure depuis janvier. Sinon, je n’ai pas changé ma méthodologie d’entraînement. C’est davantage sur l’aspect psychologique. J’ai beaucoup moins de pression contrairement à ce que j’avais pu vivre à Paris. En tout cas sur l’ensemble de la préparation des Jeux. Je suis plus en détente d’aller faire des Championnats du Monde à New Delhi.
| Après une saison en dents de scie, notamment marquée par une tendinite, vous avez conservé votre titre de champion de France le 12 juillet à Belfort en 10’’99 derrière Axel Zorzi au temps (10’’85) mais devant au point (1118 contre 1086). Un énorme soulagement…
Les minima étaient vraiment difficiles à atteindre. C’était 11″07 (minima A, les minima B étant fixés à 11″31). Ce qui dans ma catégorie de handicap (T38, destinée aux athlètes dont le mouvement et la coordination du bas et du tronc et des jambes sont faiblement limités) correspond au top 20 de l’histoire en termes de performance. Même si j’avoisinais régulièrement les 11″00 l’année dernière, 11″10 ce n’est pas 11″07. 11 »09 ce n’est pas 11 »07 non plus. Il fallait réussir à faire la performance. Je l’ai fait très tôt dans la saison (11″00 au Meeting ASA-Thop de Maisons-Alfort le 11 mai 2025). On nous a demandé d’être en forme sur notre épreuve de prédilection aux championnats de France. Forcément j’étais préparé, je me suis entraîné. Mais quand le 10 »99 est tombé, ça m’a rassuré non seulement pour ma sélection, mais aussi sur ma capacité à retourner sous les 11 secondes et à réaliser des chronos qui me permettraient d’être médaillable à New Delhi. Avec une saison qui a été un peu mi-figue, mi-raisin à cause des petits pépins physiques, ce sont des chronos qu’on prend avec beaucoup de plaisir. Et en plus avec le titre de champion de France au bout. C’est un joli bonus. J’essaie d’aborder ces Championnats du Monde avec la même sérénité que les championnats de France.
« Si on est reconnu en tant qu’athlète performant sur une piste, en fonction de nos résultats, il n’y a pas de raison qu’on ne le soit pas en tant que personne, en tant que salarié, en tant qu’étudiant, en tant que papa, en tant que maman ou dans notre rôle dans la société. »
Dimitri Jozwicki, à propos du regard de la population sur le handicap
| Timothée Adolphe, double vice-champion paralympique à Paris (100 et 400 m), a déclaré chez nos confrères de STADION-ACTU que l’héritage des Jeux n’avait pas eu lieu, tandis que Rosario Murcia-Gangloff, au pied du podium sur marathon, est plus nuancée. Elle affirme le changement de regard de la population sur le handisport. Quelle est votre position ?
Les deux ont tout dit. C’est sûr que quand on compare au No Man’s Land que ça pouvait être avant l’organisation des Jeux de Paris 2024, c’est mieux. En revanche, quand on compare à ce qui avait été mis en avant sur la notion d’héritage, la notion de mise en avant du para-sport et même du sport en général, il y a quelques fragments qui restent. Il y a eu la journée du sport le 14 septembre dernier en hommage au défilé qu’on avait pu faire sur les Champs-Élysées. Mais à contrario, on se retrouve avec des championnats du Monde à New Delhi qui ne sont même pas retransmis à la télévision, qui vont être ultra confidentiels et qui seront regardés uniquement par nos familles ou les gens qui nous suivent sur les réseaux sociaux qui auront les liens via nos stories. On n’en entend pas parler dans la presse. Et je ne pense pas que ce soient des droits de télé gigantesques à payer, quand bien même il n’est pas possible d’envoyer une équipe sur place. Dans la notion d’héritage, c’est bien d’avoir médiatisé 24 heures sur 24 les Jeux paralympiques de Paris 2024. Mais les gens qui ont découvert ces sports pendant les Jeux et qui aimeraient le revoir n’auront pas tous forcément le temps ni le potentiel d’aller chercher l’information, de regarder un live sur YouTube, sachant qu’en plus c’est à New Delhi en plein mois de septembre.
| Selon vous, le rattachement des para-athlètes aux mêmes fédérations sportives que les athlètes valides peut-il être l’un des leviers pour donner envie aux jeunes de se lancer et d’améliorer les conditions de travail de vous, athlètes professionnels ?
C’est un éternel débat. Malheureusement, nous, athlètes, n’avons peut-être pas forcément notre mot à dire. C’est très politique. Ça pourrait être intéressant d’avoir une fédération handisport qui existe pour les sports qui sont très spécifiques. Le rattachement peut se faire dans le sens où il permettrait à la Fédération Handisport de continuer d’exister et d’apporter une expertise sur le terrain, en proposant éventuellement des staffs compétents. Et aux athlètes, peut-être parfois, de bénéficier de moyens un peu plus conséquents, parce qu’effectivement, la Fédération Handisport, aujourd’hui, encadre les sports paralympiques d’été et d’hiver, avec un budget qui est unique, dispatché entre les différentes équipes de France. Quand tu es obligé de diviser ton budget en fonction des résultats, des Jeux, des dernières Paralympiades, tu es limité en termes de développement de la pratique. Mais faut-il encore aussi que de l’autre côté, si on est accueilli par une fédération homologue, il faut que ça émane d’une vraie volonté de faire développer la pratique para-sportive, et que ce ne soit pas uniquement un faire-valoir ou une façon de faire la promotion de la fédération, sans que derrière, nous, l’athlète en situation de handicap, ne bénéficie pas de ce rapprochement.
| Vous organisez pléthore de conférences. Ces échanges permettent-ils de changer le regard sur le handisport ?
C’est un milieu aujourd’hui, si on sort vraiment du cadre sportif, qui est encore très stigmatisant pour les personnes en situation de handicap. Souvent, tu vas avoir une carrière qui est limitée du fait de ce handicap voire une embauche limitée parce que derrière, il y a un tas d’images et de clichés qui sont collés derrière cette notion. L’idée, par le biais de ces interventions, c’est d’aller déconstruire cette image en parlant de l’historique du handicap en France, la typologie du handicap, l’insertion de ces personnes. Si on est reconnu en tant qu’athlète performant sur une piste, en fonction de nos résultats, il n’y a pas de raison qu’on ne le soit pas en tant que personne, en tant que salarié, en tant qu’étudiant, en tant que papa, en tant que maman ou dans notre rôle dans la société. Notre handicap ne nous définit pas de la même façon qu’il ne nous a définis pendant les Jeux où la performance est venue se mettre au service de la mise en avant de notre handicap et pas l’inverse. Si le public était capable de faire cette transformation pendant les Jeux, il n’y a aucune raison que cette transformation ne se fasse pas non plus dans la société.

| Vous avez révélé sur vos réseaux sociaux que « quelques semaines seulement après avoir vécu l’événement le plus intense de ma vie », vous avez dû « retrouver l’envie, la force et la motivation de repartir avec le regard tourné vers un nouvel objectif ». À quelle échéance faites-vous allusion ?
C’étaient les Jeux de Paris que je préparais depuis sept ans. Quand tu évolues depuis sept ans avec ce rêve, ce rêve paralympique, échelon après échelon, dans un premier temps, tu te régularises dans ta performance. Et puis tu deviens de plus en plus performant jusqu’à atteindre assez régulièrement le top 3, voire le top 1 de ta catégorie au bilan mondial. Tu te prends à rêver, à t’autoriser à rêver à cette médaille à la maison. Et puis, dans les faits, ça ne le fait pas parce que ça reste du 100 mètres. Loin d’être ridicule, mais ça ne le fait pas le jour J (5e en 11″13). Il y avait une énorme déception. C’est vrai que ça a été difficile à avaler, surtout bien long, parce qu’en fait, je n’ai pas forcément réalisé tout de suite. On était dans une ambiance de fête et de partage pendant longtemps. C’est quand tu retrouves la monotonie de la vie quotidienne que tu réalises que c’est fini, c’est passé. Et que finalement, le rôle que tu auras à tenir le plus longtemps dans ta vie, ce n’est pas celui de l’athlète qui va faire les Jeux, ni celui de l’athlète qui fait les Jeux, mais c’est celui de l’athlète qui a fait les Jeux. Ça reste une déception privilégiée, si je peux dire, de louper des Jeux à la maison. Je suis quand même très reconnaissant de ce que j’ai pu vivre. C’est assez nuancé. Je suis très heureux d’avoir pu vivre ces Jeux de Paris. Mais sur le plan sportif, forcément, il restera un goût amer.
| L’Américain Jaydin Blackwell s’était octroyé le titre de champion paralympique à Paris (10’’64), devant son compatriote Ryan Medrano (10’’97). Allez-vous repartir pour une troisième olympiade dans l’optique de glaner ce sacre chez le pays de l’Oncle Sam en 2028 aux Jeux ?
C’est mon objectif ultime, bien sûr. Aujourd’hui, mon leitmotiv est qu’il faut se retrouver des éléments. Quand tu es motivé pendant sept ans et que le moteur, c’était de vivre un événement sportif unique à la maison, c’est évident que le moteur est difficile à aller chercher. Parce que qu’est-ce qui est plus excitant dans la carrière d’un sportif de haut niveau que de pouvoir faire ses Jeux et les gagner à la maison ? Il n’y a pas beaucoup d’opportunités qui se présentent dans les carrières. Je me suis dit comment je pourrais me motiver. Puis ça m’est venu assez naturellement, très vite après la déception de Paris 2024. Je me suis dit que le leitmotiv, c’est d’aller chercher chez les Américains ce qu’ils sont venus prendre à Paris et faire un échange de bons procédés. C’est l’objectif et je n’ai pas honte de l’afficher. Je connais mon sport, je me connais, je sais que j’en suis capable et qu’il faut que j’arrive à mobiliser ce que je suis capable de faire de mieux. Il y a d’abord New Delhi, une première étape dans la reconstruction et dans la motivation.
Lucide sur la situation actuelle en France et l’héritage des Jeux Paralympiques de Paris 2024, l’athlète de Pont-à-Mousson de 28 ans espère faire lever les voiles sur le regard de la population à travers ses résultats, son métier et ses interventions. Une triple-vie qu’il mène pour promouvoir une idée : « performance » et « handicap » peuvent être mis à la même hauteur.

Renaud Chevalier
Journaliste