L’exploratrice et ultrafondeuse Stéphanie Gicquel, future recordwoman du monde des 24 heures ?
Animée depuis toujours par le goût de l’aventure et la quête du geste parfait, Stéphanie Gicquel, coureuse d’ultrafond, n’aurait jamais imaginé devenir championne de France des 24 heures, ni détenir le record national de la discipline. En 2026, elle se lance désormais dans une nouvelle aventure, tenter de battre le record du monde des 24 heures.
✓ Rencontre avec une femme aux mille ressources.
Attirée par la découverte du monde, notamment des déserts chauds, et curieuse de tout ce qui l’entoure, la jeune native de Carcassonne comble l’ennui de ses longs étés par des activités sportives, sans savoir qu’elle mobilise déjà de solides aptitudes physiques. Autodidacte, aucun de ses proches ne la guide vers un club susceptible de correspondre à son profil ou à ses envies. Ce n’est qu’aujourd’hui, trente-cinq ans plus tard, qu’en regardant en arrière, elle réalise qu’elle était déjà très sportive. « Comme les écrans n’existaient pas, j’étais dehors tout le temps, et mon objectif, c’était de reproduire les figures que je voyais à la télévision, en patinage artistique ou en gymnastique. J’aimais bien la complexité du geste. Ce qui m’a toujours plu, c’est d’atteindre quelque chose de difficile. Je pouvais y passer six heures d’affilée, tous les jours de l’été. J’aimais énormément l’activité en extérieur, mais je ne l’avais jamais vraiment intellectualisée à cette époque-là. »
Portée par un désir ardent de voyager, l’adolescente originaire du Languedoc se rêve étudiante à Paris, à l’image des héros de Balzac. Déjà très sensible aux mots, elle ne voit qu’une issue possible pour s’émanciper du carcan familial, étudier pour voyager. « Je rêvais d’abord de découvrir Paris, puis le monde, car je voyais Paris comme une porte d’entrée vers le monde. J’en rêvais à travers les descriptions qu’on en faisait dans les livres de français. »
Sa détermination la mènera à travers les universités et grandes écoles de la capitale, dans des milieux qu’elle n’a jamais fréquentés auparavant, du commerce au droit, en passant par l’économie. « J’ai tout mis en œuvre pour atteindre ces objectifs, même si ces environnements étaient très éloignés de ma famille. On me disait que c’était impossible, réservé à certaines personnes. J’ai un peu délaissé le sport, persuadée que plus je travaillais, plus j’avais de chances de réussir. Alors qu’en réalité, l’équilibre avec l’activité physique aide à être plus performant. »
En débarquant sur les bancs d’HEC, elle fait face à une autre réalité, celle d’une jeune femme issue d’un milieu modeste projetée dans un univers élitiste. « J’ai vite compris qu’il me restait encore beaucoup de codes à acquérir pour créer mes propres projets. Je voyais bien que voyager, c’était une question d’indépendance. En fait, je rêvais d’être aventurière, sans mettre de mot dessus ». C’est ainsi qu’elle s’engage dans le monde de l’entreprise, une manière de rembourser ses emprunts étudiants et de financer ses premiers projets. « Dès que je découvre un nouvel environnement, j’ai envie d’y rester un moment ». Ce nouvel univers, qu’elle choisit d’explorer, met momentanément entre parenthèses son rêve de voyage. « On pense souvent qu’il y a eu une rupture, mais en réalité, c’est la même curiosité qui me guide à chaque fois. »

Enfin, ses projets se déploient. Attirée par la différence, ses rêves d’arpenter les « déserts chauds puis froids » se réalisent. « À force d’être dans ces environnements, entourée de personnes qui avaient besoin de plus de repos, je me suis rendu compte que j’avais une vraie appétence pour le très long. Je n’étais pas fatiguée, je pouvais tenir. » Mais jamais rassasiée d’aventures, elle se lance, autour de ses 35 ans, dans une nouvelle aventure, le sport de haut niveau. « J’ai bien conscience que c’est atypique, car en général les sportifs de haut niveau partent ensuite vers le sport aventure, pas l’inverse ». Toujours portée par cette envie d’aller plus loin, elle repousse ses limites, « sans les dépasser », et continue de surprendre par sa capacité à naviguer d’un univers à l’autre. De celui d’avocate à celui d’aventurière, puis de sportive de haut niveau, perçu comme plus codé et fermé, elle explore sans cesse.
Passionnée d’écriture, Stéphanie affine sa plume au fur et à mesure de ses expériences. D’abord, à la source d’un blog mettant en avant des sportifs et aventuriers, elle se raconte désormais régulièrement sur le réseau, LinkedIn, dans un objectif d’inspiration et écrit des éditos pour des magazines divers. Aujourd’hui, elle est l’autrice de trois ouvrages. « L’écriture s’est manifestée de différentes manières dans mon parcours. Mon objectif, c’est plus que ce que tu fais, fais-le bien. Ce qui compte, c’est que je sois contente du produit fini. »
Néanmoins, la littérature n’est pas sa seule passion. L’aspect scientifique des choses l’a toujours fascinée. « Je pense que les deux sont liées, surtout en course à pied, grâce au côté scientifique, on peut comprendre et trouver des explications. Et en même temps, il y a ce côté plus rêveur, presque littéraire, dans le corps à corps avec la nature. »
| De l’exploration du monde, du sport et de l’Homme naît le plaisir de courir
Tout au long de ses 43 ans, Stéphanie a cherché à explorer. L’exploration lui apporte et, surtout, apporte au monde. Pour elle, qu’il s’agisse de science, de technologie ou de sport, l’humain progresse toujours en allant là où il n’est jamais allé. « C’est un peu le propre de l’homme d’explorer ». Il y a l’aventure personnelle, celle où l’on dépasse ses propres limites, et l’exploration, celle où l’on franchit des frontières jamais atteintes. « Si un jour je cours 275 kilomètres en 24 heures, aucune femme ne l’aura fait avant. Je vivrai quelque chose d’unique, que je pourrai décrire en termes de sensation et qui fera sûrement avancer la science. »
Elle ne sait pas vraiment d’où lui vient ce besoin de mouvement. « J’ai l’impression que c’est finalement proche de la résilience. Si je n’étais pas comme ça, je perdrais peut-être le sens de la vie. C’est ma façon d’être en vie ». Selon elle, les injonctions sociales freinent souvent le passage à l’action « Quand tu pars, déconnecté du monde et sans ton téléphone, tu te libères de la charge mentale qui t’empêche de te mettre dans une zone d’inconfort. »
Avant sa carrière de haut niveau, Stéphanie court pour le plaisir et pour préparer ses expéditions. « Je faisais un marathon pour gagner en endurance, sans préparation. La course, c’était un entraînement, comme le ski-pulka ou le ski de rando ». Son goût pour l’endurance s’est donc développé naturellement, au fil des expéditions, puis s’est prolongé. « Quand tu découvres de grands espaces en courant, en footing modéré, sans exigence d’allure, c’est magnifique. »
Cette recherche de déconnexion, cette sensation de faire corps avec la nature, l’anime. En courant, elle découvre des lieux autrement inaccessibles. Le plaisir vient aussi des sensations, la fluidité d’une foulée, la précision d’un geste. Les séances techniques lui rappellent son enfance. Chaque phase de son entraînement a son charme, l’observation de la nature, le foncier, la piste, les échanges avec les chercheurs. « Le plaisir est au quotidien. »
« Je pense que la littérature et la science sont liés, surtout en course à pied : grâce au côté scientifique, on peut comprendre et trouver des explications. Et en même temps, il y a ce côté plus rêveur, presque littéraire, dans le corps à corps avec la nature. »
Stéphanie Gicquel
| Le haut niveau comme tremplin vers une nouvelle aventure
Guidée par cette conviction nouvelle que « l’endurance pouvait aussi exister dans l’univers de la compétition », Stéphanie décide, sept ans plutôt, de courir dans une autre perspective. Très vite, elle se démarque et s’oriente vers le haut niveau, avec un objectif clair, intégrer l’équipe de France, en allant « le plus loin possible dans ce nouvel environnement ». Ses médailles n’ont donc rien d’un hasard « J’avais cette conviction, comme quand j’ai voulu traverser l’Antarctique. Je sentais que si je mettais tout en œuvre, j’y arriverai ». Ce qu’elle n’imaginait pas alors, c’est qu’un jour elle viserait un record du monde. « Ce sont les Championnats d’Europe de Vérone qui m’ont ouvert les yeux sur cette possibilité. »
Dans le sport de haut niveau, le corps est tellement poussé dans ses retranchements qu’il devient naturel d’avoir besoin de couper. « On s’entraîne tellement que j’aime les phases de récupération, celles où je peux faire d’autres activités. Je ne me verrais pas courir en permanence. » Basée à Paris la plupart du temps, elle ne ressent jamais de manque, même durant ses périodes de repos. Comme dans tout travail, certains moments sont plus contraignants que d’autres. « Quand il pleut, qu’il fait froid, et qu’on doit courir sur une boucle parce qu’on a trop de volume à faire, il vaut mieux aller à côté, même si c’est moins agréable. Parfois, c’est un peu pénible, mais ça n’enlève rien à l’envie de continuer ». Elle ne ressent pas ce besoin irrépressible de courir, mais la flamme demeure.
Son rythme d’entraînement varie selon les échéances. Chaque préparation est différente, mais celle d’un 24 heures reste la plus exigeante. La spécialiste de l’ultrafond doit composer avec de nombreux paramètres. « Plus c’est long, plus on est confronté à des facteurs extérieurs », comme le stress environnemental ou la gestion de l’alimentation. Elle travaille avec des nutritionnistes et des scientifiques, afin d’identifier les causes des difficultés rencontrées. La température, par exemple, peut être déterminante. « Si tu es soumis à 35 °C sur une longue durée, les heures passant, tu peux être contraint à l’abandon ». Ce n’est donc pas qu’une question de volume d’entraînement, une multitude de paramètres connexes entrent en jeu. « Si tu combines le volume de course et toute la préparation, c’est ce qu’il y a de plus chronophage pour un athlète. Mais comme nous n’avons pas les mêmes soutiens financiers que les disciplines olympiques, il est difficile d’y consacrer tout le temps nécessaire. C’est presque l’impossible qu’il faut réaliser. »

Pour ne pas se brûler ni se laisser déborder, Stéphanie Gicquel se limite à deux courses de 24 heures par an. Un choix motivé par trois raisons : préserver sa vitesse, rester pluridisciplinaire et garder un certain équilibre pratique. « Le niveau augmente tellement en ultra-distance qu’il ne suffit plus de tenir 24 heures, il faut aussi pouvoir les courir à une certaine allure. J’aime bien garder des phases plus rapides, comme en début d’année où j’ai enchaîné trois marathons ». Elle aime varier les formats : trail, marathon, 100 km… Une diversité essentielle pour nourrir sa motivation et correspondant à sa quête de complétude. Devenir « l’ultrafondeuse la plus rapide » est son objectif, avec en ligne de mire le record du monde, mais sans négliger les distances plus courtes.
Jusqu’ici, elle n’a jamais mené de préparation complète dédiée au 24 heures. Cette fois, elle s’y engage pleinement, avec le record du monde comme fil conducteur. « Je me suis déjà retrouvée à faire des semaines de 260 à 320 km pour préparer un 24 heures. Mais je n’ai encore jamais pu suivre un plan idéal dans des conditions optimales. Cela me laisse penser que j’ai encore une belle marge de progression. Bien supporter le volume, c’est clairement ma force ». Pour viser une très haute performance, elle sait ce qu’il lui faut, du temps, un lieu adapté et les bonnes conditions. « Ne pas avoir d’autres courses, trouver un endroit approprié, et surtout réunir les bons éléments : le staff, la concurrence pour créer l’émulation, et une météo favorable ». Sur une préparation de 100 km, elle tourne plutôt autour de 200 à 220 km hebdomadaires, avec une montée progressive. « Il n’y a jamais deux semaines identiques ». En ultra-fond, impossible de s’arrêter plus de dix jours sans perdre en vitesse. D’où l’importance de la régularité et du renforcement musculaire, qu’elle intègre systématiquement pour préserver son corps sur la durée.
Lorsqu’en compétition le temps lui semble long et que le décor ne lui procure pas la même plénitude que lors de ses explorations, elle puise dans ce qu’elle a appris dans ces environnements extrêmes. Sur une course de 24 heures, elle s’attache toujours à un détail, se focalise sur les nuages, les couleurs, les visages. « J’essaye de puiser de la force dans tout ce qui m’entoure. »
| « Je ne veux pas juste courir, mais comprendre et transmettre. »
Grâce à sa triple casquette d’exploratrice, d’écrivaine et d’athlète de haut niveau, Stéphanie Gicquel œuvre aux côtés de scientifiques sur des protocoles de recherche, notamment avec les chercheurs de l’INSEP. Cette collaboration est réciproque. Parfois, ce sont les scientifiques qui la sollicitent ; d’autres fois, c’est elle qui les contacte pour améliorer ses performances. Ces échanges permettent ensuite de valoriser ses données de terrain au bénéfice du grand public. « Pour préparer le 100 km de Millau, je me suis questionnée sur quand et où faire une redescente en plaine dans mon stage en hypoxie. Les équipes du CNEA Font-Romeu m’ont accompagnée, tout comme les chercheurs de l’INSEP spécialisés en stress environnemental ». De nombreuses interrogations guident sa pratique. « Je me demande quel serait le lieu le plus optimal pour ma tentative de record du monde. Les chercheurs connaissent parfaitement les conditions d’humidité et de chaleur. Ils m’aident à améliorer mes performances, et moi, je leur apporte mes données de terrain, afin que cela puisse profiter au plus grand nombre. »
Transmettre est essentiel pour Stéphanie. Convaincue que le sport extrême et l’ultra-endurance sont ceux qui apportent le plus à la compréhension du corps humain, elle donne des conférences et intervient régulièrement dans les écoles pour nourrir la réflexion autour de ces sujets. « L’être humain est avant tout un être endurant. Étudier l’endurance, c’est étudier ce dont le corps humain est capable. »
| Une carrière durable, pensée sur le long terme
« Le jour où ça ne me conviendra plus, j’arrêterai. Mais pour l’instant, je sens que j’ai encore de la marge ». S’entraîner, mais toujours dans l’optique d’explorer. En se lançant, jamais elle n’aurait imaginé aller aussi loin. « Le corps a besoin de tellement d’adaptation que c’est forcément sur le long cours qu’il faut entrevoir une carrière. Sinon, tu risques de te blesser et de perdre l’envie ». Chaque année, elle affine sa pratique, apprend et évolue.
L’ultrafondeuse a trouvé une discipline qui lui permet de progresser malgré le passage des années. « Ce n’est pas une fatalité. Je suis convaincue qu’on peut être plus performant à 40 ans qu’à 20, à condition d’y mettre plus d’efforts et d’énergie ». Consciente que la plupart de ses concurrentes sont plus jeunes, elle ne s’en formalise pas. « C’est un point positif de ne pas avoir été dans le sport de haut niveau à 20 ans. Je n’ai pas de moyens de comparaison et je ne me dis pas que je ne peux pas faire mieux. »
Aujourd’hui, Stéphanie Gicquel, cette coureuse qui a traversé les déserts et s’est déjà vue mourir lors de ses expéditions, repousse ses limites dans une autre dimension, celle du sport de haut niveau. Après avoir atteint son objectif de porter le maillot de l’équipe de France, un nouvel horizon l’attend pour 2026, le record du monde des 24 heures, une performance pour l’Histoire.

Sabine LOEB
Journaliste