Alessia Zarbo : « Tant que je pourrai faire du sport, je ferai du sport »
Rencontrée le mercredi 9 juillet lors de l’événement de lancement de la HOKA Rocket X 3 au stade Charléty, Alessia Zarbo s’est confiée sur sa vie, ses entraînements et sa collaboration récente avec la marque américaine.
Récemment médaillée d’argent sur 10 000 m à la Coupe d’Europe à Pacé (Ille-et-Vilaine), Alessia Zarbo ne sort pas de nulle-part. Cette ex-triathlète d’Antibes, aux multiples sélections en équipe de France depuis ses jeunes années en athlétisme, s’entraîne dur, mais à sa manière, pour rester au plus haut niveau. Confrontée à des fractures de fatigue récurrentes, elle a dû adapter son mode de vie, trouver son équilibre et puiser dans ses ressources pour ne pas lâcher prise, contrairement à certaines de ses camarades des années précédentes.
| Des débuts prometteurs
Attirée par le triathlon, que sa cousine pratique, la jeune Sudiste s’initie à cette discipline à l’âge de 9 ans. Très vite, elle est propulsée dans le monde sportif et s’entraîne bien plus que la plupart des autres jeunes filles de 12-13 ans. Tellement qu’elle se démarque rapidement sur les compétitions, puis sur les courses à pied, notamment les cross-country, où on la retrouve souvent en tête de peloton. « J’ai envie de croire que j’ai de bonnes gênes », confie-t-elle, consciente qu’on ne grimpe pas toujours aussi facilement sur les podiums. Pourtant, ses parents ne sont pas de grands sportifs. « Ils font du sport, parce que je fais du sport maintenant », explique-t-elle. Même sa mère, qui a toujours nagé, n’est pas étrangère à ses débuts dans l’eau. Alessia ne remerciera jamais assez le triathlon, qui lui a permis d’acquérir « une casse d’aérobie de ouf ».

| Des dernières années compliquées
Engagée sur le 10 000 m aux Jeux olympiques de Paris, Alessia a malheureusement dû abandonner la course, victime d’une fatigue chronique qui freinait son organisme depuis plus de six mois. « J’accumulais plein de petites blessures, simplement parce que mon corps ne se régénérait plus. C’était lié à un surmenage total. Je manquais de stabilité, je me suis blessée, j’ai surcompensé, et j’étais arrivée au bout. Tout s’enflammait, tout faisait mal. J’étais tout le temps essoufflée, et mentalement, c’était très dur. » Le temps de trouver un mode de fonctionnement plus adapté, elle a dû encaisser deux rechutes au cours des dernières années. « Pour compenser, je me suis butée au vélo, à la natation, à tout ce que je pouvais. Quand je reviens de blessure, je ne reviens pas vraiment de nulle-part. »
Depuis mi-mars, elle se sent définitivement mieux. « J’ai réussi à enchaîner 2-3 semaines d’entraînement en course à pied sans douleur anormale. » Cet enchaînement de blessures a été éprouvant, pour elle comme pour ses proches : « Ce qui m’a permis de tenir et de revenir, c’est mon entourage. J’ai eu un soutien que peu de gens ont. »
Ce mercredi matin, elle raconte avoir réalisé une séance exigeante : 4 x (1 000 m, 300 m, 200 m). « Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait des 1 000 m sous les 3’ en me sentant à l’aise », confie l’ancienne protégée de François Chiron à l’INSEP, qui l’a accompagné en vélo tout du long de sa séance. Depuis sa reprise, elle voit chaque semaine des progrès : « Je profite du fait que je n’ai pas encore atteint le plateau. »
« C’est ma saison la plus complète depuis 2018. Je préfère qu’elle le reste, même si elle s’arrête en août. »
Alessia Zarbo
| Un mode de vie enfin parfaitement adapté
Après de longues années compliquées, elle remonte doucement la pente. Rentrée de l’Oregon (USA) en 2023, où elle avait entrepris une licence en business, spécialisée en finance et comptabilité, elle a réussi à retrouver un rythme de vie plus approprié à ses besoins. « Là-bas, j’avais vraiment mon indépendance et ma vie. Je comptais faire un master, mais j’ai été blessée toute ma dernière année. Il y a eu beaucoup de questionnements : le coach changeait, la team est passée de 15 à 30, un grand nombre de jeunes arrivaient… Ça a été deux ans un peu chaotiques, mais ça m’a beaucoup construite en tant qu’humaine et athlète. Je ne serai pas capable de m’entraîner comme aujourd’hui si je n’étais pas partie, parce que j’ai appris à me connaître. »
De retour en France, elle a un temps jonglé entre plusieurs lieux, avant de se réinstaller dans la maison antiboise de son enfance. Assez grande pour préserver son indépendance, elle la partage avec ses parents, ce qui ne lui pose aucun problème. Elle les surnomme même ses « enfants multi-activités », son père n’étant pas là en semaine et sa mère, « toujours par mont et par vaux ». Cette année, elle se sent réellement bien là-bas : « J’ai un cadre vraiment top pour m’entraîner. »
Désormais, tout semble fluide dans la vie de l’Antiboise : réveil à 9h00, footing et natation le matin.« Ma mère vient nager en même temps que moi et m’apporte mes affaires. À midi, j’ai fini », raconte la sociétaire du club parisien Racing Multi Athlon. Elle continue de plonger régulièrement dans le grand bain avec son club, Antibes Triathlon. Entraînée par Ludovic Beaugrand, « le papa de Cassandre », qu’elle a connu « par hasard au collège en tournant sur le stade », et soutenue par son père, Alessia apprécie de réaliser ses séances seule ou accompagnée de camarades masculins. Son coach lui fournit une trame d’entraînement et prend en charge environ 30 à 40 % du travail qualitatif en course à pied. Le reste, elle le gère elle-même : « L’aérobie, tout ce qui est prépa physique, c’est mon copain. » Son coach l’accompagne dès qu’elle en a besoin, et son père aussi : « C’est un vrai support. »
Ce nouvel emploi du temps flexible lui convient à ravir : « Ce n’est pas comme à l’INSEP, où c’est plus cadré, ce qui ne me correspond pas forcément. » Conjuguer plusieurs regards, avancer à son rythme et selon ses besoins, « en s’écoutant », c’est ce qui lui a permis de revenir à son meilleur niveau sans se blesser à nouveau. « J’ai pu enchaîner des mois d’entraînement et concrétiser quelques mois de travail en participant aux Europe. Mais j’espère que ce n’est que le début », confère la Alessia galvanisée par sa très bonne forme du moment.
| Une nouvelle collaboration qui lui convient à ravir
C’est à la suite du 10 km de Lille que la marque HOKA s’est rapprochée d’elle. « Avant, je n’avais pas de sponsors », confie-t-elle, reconnaissante. « J’avais réalisé 32’28 à Lille, une très bonne performance, mais qui, pour moi, ne justifiait pas encore tout ce qu’ils m’offraient à ce moment-là. » L’échange avec la marque a été rapide : « J’ai senti qu’ils étaient prêts à investir en moi autant que je le suis dans mon entraînement. »
Grâce à ce partenariat, la spécialiste du 10 000 m vit aisément. En plus de l’équipement, son contrat prévoit une base annuelle versée en deux fois, ainsi que des primes liées à ses performances sur certaines courses ou classements. « On parle très peu du fonctionnement de ces contrats. C’est une grille établie : dès que j’améliore mon meilleur chrono sur 1 500 m, semi, cross…, je reçois une prime. », explique l’athlète indépendante dans ses entraînements.
Lorsqu’elle a annoncé sa collaboration avec HOKA en avril sur les réseaux sociaux, elle s’est montrée particulièrement enthousiaste à l’idée de rejoindre « cette marque qui s’impose, avec de vrais moyens, tout en gardant une mentalité très humaine ». Elle se réjouit de retrouver les équipes et les athlètes sur des événements. « Il y a cette volonté d’être une vraie team. Par exemple, au FAST5000, un entraîneur et un manager étaient présents, avec un espace pour déposer nos affaires. C’est agréable d’avoir ce sentiment d’appartenance. »
| Des prochaines échéances notables
Inaccessibles, les minima pour les Championnats du Monde de Tokyo (13 au 21 septembre prochains), fixés à 30’20 ne sont pas la priorité d’Alessia. Malgré un record de France du 10 000 m récemment abaissé à 31’23 par Mekdes Woldu lors du Meeting de Leyde aux Pays-Bas, il est clair que personne ne réalisera ces minima. Pas même la recordwoman elle-même, qu’Alessia admirait enfant, et qui l’a menée trois fois en lièvre pour lui permettre de passer sous les 9’45 et se qualifier aux Championnats d’Europe U18. Ni la Alessia d’aujourd’hui, devenue son amie. « J’aurais pu passer au ranking si je retrouvais un 10 000 m dans lequel je refaisais un bon chrono, mais il n’y a pas vraiment d’occasions », admet la demi-fondeuse. Pas l’ombre d’une frustration dans sa voix, plutôt un sentiment de satisfaction : « C’est ma saison la plus complète depuis 2018. Je préfère qu’elle le reste, même si elle s’arrête en août. Avec la route et les cross, j’aurai peut-être de meilleures opportunités à l’automne. »
Faute de 10 000 m, elle envisage de s’essayer à d’autres distances, notamment un 1 500 m, une première depuis cinq ans, avant les Championnats de France Élite à Talence (1 au 3 août) où elle s’alignera sur 5 000 m. « C’est histoire de se mettre en jambes, précise-t-elle. Dans l’idéal, j’aurais aimé faire un 3 000 m bien préparé, mais le seul qu’il y a eu était à Marseille et il tombait trop tôt dans mon cycle d’entraînement. » L’épreuve du 1 500 m s’avère être la meilleure option. Reste à trouver une course dans les semaines à venir. « La chance que j’ai, c’est que je ne suis pas très rapide, donc même une course moyenne pourrait me convenir », se convainc-t-elle. Et si rien ne se présente ? « Ce n’est pas le bout du monde. Au pire, je ferais un 1 000 m toute seule à l’entraînement. »
Calme et détendue, Alessia ne se laisse pas envahir par la pression d’un calendrier de fin de saison peu garni. Mais elle ne perd pas en ligne de mire le dernier grand rendez-vous estival. « Je vais aux France Elite à Talence avec l’idée de faire un podium, parce qu’une médaille, ça claque », dit-elle, avant de relativiser aussitôt : « Qu’on fasse 1, 2, 3 ou 4, ça ne va pas changer la face du monde. » Son vrai objectif ? Sentir qu’elle a donné le meilleur d’elle-même. « Aux Europe, j’étais déçue car je n’ai pas eu l’impression de courir à ma façon. Peut-être que j’ai mal géré. Des faits de course ont fait que je ne suis pas partie au paquet au bon moment, qu’on a perdu beaucoup d’énergie… » Et pourquoi ne pas revivre une surprise comme à la Coupe d’Europe ? « Même avec 32’30, j’aurais été contente. Je savais que j’étais en forme, mais ça faisait trois ans que je n’avais pas couru à mon niveau », confie-t-elle à propos de cette première médaille internationale depuis longtemps.
Après ce premier week-end d’août qui s’annonce intense, une coupure s’imposera pour la Sudiste, qui lèvera le pied sur les séances de piste, avant de reprendre en septembre. Cependant, l’adepte du seuil ne lésinera pas sur la partie vélo et favorisera les footings longs avec du seuil.
Un jour, l’échéance ne sera plus les Championnats de France, mais d’une autre ampleur. Revenir aux sources est une évidence pour Alessia :« Je ferai un half iron man, c’est sûr. Pour l’instant, ma priorité reste l’athlé. » Parfois, elle se laisse déjà tenter, comme dimanche dernier où elle a pris part à un aquathlon « pour se faire kiffer ». Le marathon trotte aussi dans sa tête : « Dans très longtemps, j’en ferai un. Et avant la fin de l’année, peut-être un semi, parce que je suis une fan de seuil. » Mais comment choisir ? Elle rit : « Si je pouvais tout faire, je ferais tout. »
| Une énergie débordante, canalisée dans la course à pied… et dans ses rencontres
Sa réponse surprend quand on lui demande pourquoi elle se lève chaque matin pour courir : « Ce que j’aime, c’est la discipline de l’entraînement. » Pour elle, c’est une chance de pouvoir faire ce qu’elle aime. Il est d’ailleurs rare qu’elle n’ait pas envie de s’entraîner. Et quand ça arrive, elle sait qu’il vaut mieux s’écouter. Un peu plus loin dans la conversation, elle nuance : « Les endorphines que t’as à la fin », glisse-t-elle en souriant, avant d’évoquer la véritable origine de sa passion enfantine : « J’ai essayé le judo, le tennis, le golf… Mais rien n’a accroché. Je crois que j’aimais surtout gagner. »
Avec les années, le moteur a changé. « Aujourd’hui, c’est plutôt le sentiment d’accomplissement. Que ce soit à l’entraînement, en compétition ou même pendant une blessure. » Fière de sa carrière, elle peut l’être. Et pourtant, elle ne se considère pas comme une « sportive » dans le sens classique : « Même si on me voit comme quelqu’un d’hyper actif, parce que je suis toujours en mouvement, je n’ai pas envie de faire du sport toute la journée. Ni de jouer avec ma mère au badminton dans le jardin, ni de partir trois jours en rando. Ça m’amuse, une fois pour l’expérience, mais ça s’arrête-là. » Ni comme une compétitrice : « Si tu me bats à un jeu de société, ça ne me fait rien. Tant que je me suis battue moi-même, ça me suffit. »
Finalement, ce qui compte le plus n’est pas la manière dont elle se définit, mais ce qu’elle retire de cette vie. Au-delà de sa passion pour la course, ce sont les moments partagés qui la marquent : ses amitiés, sa famille, son compagnon. « Parfois, j’imagine que demain j’arrête l’athlé. Je me dis que je ne verrais plus Anaïs (Bourgoin) et Bérénice (Cleyet-Merle)… jamais de la vie », confie-t-elle. Et ce ne sont pas seulement ses amies de l’INSEP qui lui manqueraient, mais aussi « les sélections en équipe de France, impossibles à comprendre tant qu’on ne les a pas vécues. » Très différentes des voyages en club, elles font partie du « Top 3 des meilleures choses au monde. J’ai déjà ri à en avoir mal aux abdos pendant des jours », conclut l’habituée du maillot tricolore. « J’en ai loupé beaucoup et refusé plus d’une… C’es horrible, mais quand on y va, ça reste toujours mémorable. »
Que souhaiter de mieux à cette athlète qui se livre sans retenue au micro, et raconte sa vie avec des étoiles dans les yeux, que de nombreuses futures sélections en équipe de France, des courses terminées avec la sensation d’être allée au bout d’elle-même, et des amitiés dans l’athlé qui perdurent ? Ce n’est pas demain qu’elle quittera le tartan, ni la route, car elle l’annonce avec conviction : « Tant que je pourrai faire du sport, je ferai du sport. »

Sabine LOEB
Journaliste