« Autant de dopage dans les deux sports » : du macadam aux coups de pédale, quand la course à pied se compare au cyclisme
Adeptes de la course à pied, vous êtes-vous déjà demandé si votre discipline de prédilection entretenait des liens avec celle de Tadej Pogacar ou de Pauline Ferrand-Prévot ? Dopage, médiatisation, fréquence cardiaque, blessures… Samuel Maraffi, médecin au sein de l’équipe professionnelle de cyclisme TotalEnergies Pro Cycling Team et co-responsable du Diplôme Universitaire Trail Running Besançon épluche sans ambiguïté les moindres spécificités de ces deux sports, entre similitudes et différences.
| Technologies de santé : cyclisme 1, course à pied 0
De Vincent Bouillard à Pierre Rolland en passant par Camille Bruyas, Samuel Maraffi est aux petits soins. Cyclisme, course à pied, trail… Le médecin généraliste et du sport joue sur tous les terrains. À quelques jours de participer à la grande boucle avec TotalEnergies Pro Cycling Team (5 au 27 juillet), le titulaire du diplôme universitaire (DU) de physionutrition clinique et biologique met une petite carte sur le cyclisme à propos des technologies de santé. « La course à pied a grandement évolué dans les 10 dernières années. Les semelles intermédiaires, plaques de carbone, mousse ont fait leur apparition. »
Pas suffisant pour venir titiller le sport de Bernard Hinault, quintuple vainqueur du Tour de France (1978, 1979, 1981, 1982 et 1985). « Les outils sont présents depuis plus longtemps dans le vélo. C’est un sport porté. Les données sont plus faciles d’accès. Les capteurs de puissance dans la course à pied ne sont pas assez intéressants, contrairement au vélo où elles sont davantage interprétables. » L’ancienneté de la discipline aurait son importance. « Elle est beaucoup plus structurée. Nous avons même un sport scientist au sein de mon équipe. Il est chargé d’analyser les données de chaque entraînement des coureurs. »

| « C’est le cerveau qui contrôle » : la performance sous trois angles
L’ancien médecin de l’équipe cycliste B&B Hôtels-KTM, disparue en décembre 2022, étudie la performance à travers le prisme de trois axes : physiologique (coeur, respiration, utilisation des cellules), musculo-squelettique (différents tissus) et neuro voire psychologique ou psycho-cognitif. Pour le premier angle, pas de différence majeure notable. « C’est à peu près similaire. La fréquence cardiaque monte haute, que ce soit pour un marathonien ou pour un cycliste lors d’une course à étapes, même si elle est un petit peu plus élevée dans la course à pied », atteste-t-il.
Sur le deuxième plan, la force concentrique (diminution du muscle) est plus présente dans le cyclisme. « Les coureurs ont un grand fessier, un bassin stable avec une exposition particulière. » Le running nécessite différentes modalités de contraction, notamment excentriques (augmentation du muscle). « Les cyclistes ont une grosse caisse, mais leur carrosserie n’est pas adaptée à la course à pied », détaille le détenteur d’un DU thérapeutiques et microbiotes. « Quand tu viens d’un sport porté, tu as mal partout », souffle l’ancien cycliste professionnel et fraîchement finisher du Marathon de Paris Pierre Rolland, qui préfère en sourire. « Musculairement, c’est terrible. Dans le cyclisme, il n’y a zéro impact sur les tendons. » « Quand ils courent, les cyclistes ont du mal à adapter la rectitude de leurs membres inférieurs. Leur moyen fessier est très peu sollicité », reprend le spécialiste.
Sur l’aspect psycho-cognitif, la fatigue centrale, c’est-à-dire « quand le cerveau est cramé et qu’il envoie moins de recrutement musculaire », est plus importante et dominante dans l’ultra-cyclisme. « C’est le cerveau qui contrôle. » Sa cousine, la fatigue périphérique, qui produit de l’altération des mécanismes au niveau du muscle lui-même se manifeste davantage dans la course à pied. Guillaume Millet, physiologiste du sport, s’est intéressé à la fatigue musculaire. « Il a montré que malgré cette fatigue, grâce à un signal électrique, le muscle se contracte plus vite », éclaire l’habitant d’Annecy.

| « Pas seulement traiter la blessure mais essayer de la comprendre »
Les blessures de type macro-traumatologie (accidents graves par exemple) sont amplement en la faveur du cyclisme. Victimes de commotions cérébrales à maintes reprises, à l’instar de la championne d’Italie Elisa Longo Borgini lors du Tour des Flandres Femmes en avril dernier, les cyclistes jouent en permanence avec la mort. Et encore plus en descente. Gino Mäder s’est éteint tragiquement lors du Tour de Suisse 2023 dans ces circonstances, tout comme Muriel Furrer lors des championnats du monde à Zurich l’année suivante, à seulement 18 ans.
Au sujet de la microtraumatologie, « des blessures qui arrivent petit à petit », près de 50% seraient localisées au niveau du genou pour les rois de la pédale pour celui qui officie régulièrement en tant que conférencier pour La Clinique du Coureur. Les zones les plus vulnérables pour les amoureux du running sont localisées principalement au niveau des membres inférieurs (mollet, cheville, ischio-jambier…)
« Un championnat du Monde de marathon n’a pas la même visibilité que le Tour de France. »
Samuel Maraffi
Inévitablement, la rééducation fait son apparition. « Aujourd’hui, nous ne traitons pas seulement une blessure intrasèquement mais nous essayons de la comprendre. Qu’est-ce qui explique l’apparition de cette blessure ? » Alors que la physiothérapie est presque semblable dans les deux cas, le cycliste fait corps avec son vélo. Un élément à prendre en considération. Hauteur, recul, inclinaison de la selle, longueur de la potence, hauteur du cintre… Autant de petits détails qui minimisent (ou maximisent) le risque de blessure.
| « L’argent vient autour de la médiatisation »
Même constat que les technologies de santé. Le cyclisme devance la course à pied en termes de médiatisation. « C’est l’un des sports les plus médiatisés. Un championnat du Monde de marathon n’a pas la même visibilité que le Tour de France. » Alors qu’il peaufine les derniers réglages avec son équipe en vue de la plus grande course du monde, le trentenaire insiste sur l’impact psychosomatique des caméras. « Nous avons des réunions de gestion du sommeil et du stress extérieur. » À la grande différence des marathoniens, les cyclistes ont des contrats. « Nos coureurs vendent l’image de Total Energies. Le sport de haut niveau est un placement financier, fiscal et publicitaire. L’argent vient autour de la médiatisation. »
Répondre à la presse fait partie intégrante de son métier. « Je me suis entraîné à répondre à certaines questions de dopage », livre-t-il. Les cyclistes décrivent-ils la réalité de leur métier ? « Certains jouent avec. Ils ont un contrat derrière. Ils ne peuvent pas tout dire. Il y a une différence entre ce que tu communiques et ce que tu vois sur le terrain. Peter Sagan (113 victoires chez les professionnels, l’un des plus grands sprinteurs de tous les temps, N.D.L.R.) est très attachant humainement. Ce n’était pas le même dans le bus, en off que devant les médias. »

| « La lutte anti-dopage est plus aboutie dans le cyclisme »
On y vient enfin. Le dopage. Indissociable du sport du haut niveau, cette pratique fait couler beaucoup d’encre à chaque fois qu’un cas est recensé dans chacune des deux disciplines. « Je pense qu’il y autant de dopage dans le vélo que dans la course à pied », suggère-t-il. « Le dopage est lié au milieu économique. » On se souvient de l’affaire Festina lors du Tour de France 1998, de la disqualification du sprinteur canadien Ben Johnson lors des Jeux olympiques de Séoul 10 ans plus tôt pour usage de stéroïdes…
Si « la lutte anti-dopage est plus aboutie dans le cyclisme », avec l’Union Cycliste Internationale en tête de peloton, « elle n’est pas infaillible ». « C’est le maillage du filet le plus étroit », métaphore-t-il. « Mes coureurs ont entre 20 et 30 prises de sang par an », révèle-t-il. Statistiquement, l’athlétisme caracole en tête des cas détectés pour dopage en 2024 (83) selon le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) contre seulement 9 cas pour la discipline de Marion Rousse, directrice du Tour de France Femmes (26 juillet – 3 août). S’il adopte une posture anti-dopage, Samuel Maraffi ne contrôle pas ce que font ses cyclistes lorsqu’ils sont à leur domicile. « Je ne suis pas à leur chevet », précise-t-il.
Aux frontières du dopage, la zone grise, dans laquelle les athlètes se trouvent dès lors qu’ils utilisent des produits médicamenteux qui en général améliorent leurs performances sportives sans que ces substances soient interdites, pose évidemment question. Alors que le cyclisme s’est posé en précurseur au sujet de l’interdiction du Tramadol, puissant anti-douleur, dès 2019, il a fallu attendre 2024 pour que cet antalgique s’étende à l’ensemble des sports sur décision du comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage (AMA).
Alors que certains fondeurs troquent leurs chaussures de running pour le cyclisme le temps d’une échappée, nul doute que ces deux disciplines se rapprochent sur bon nombre d’aspects. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que d’anciens cyclistes professionnels performent sur marathon, à l’image d’un Nacer Bouhanni (2h34’36) ou de Laurent Jalabert (2h55).

Renaud Chevalier
Journaliste