Christian Harberts est le spécialiste de la course pieds nus en France. Depuis 2010, il s’emploie à faire connaître cette pratique, à travers des initiations ouvertes à tous ceux qui souhaitent s’y essayer, tout en restant attentif aux réactions des passants.

Christian Harberts, pionnier de la course pieds nus en France

Interview
08/12/2025 09:44

Christian Harberts est le spécialiste de la course pieds nus en France. Depuis 2010, il s’emploie à faire connaître cette pratique, à travers des initiations ouvertes à tous ceux qui souhaitent s’y essayer, tout en restant attentif aux réactions des passants.


« Eh tu n’as pas oublié tes chaussures ? », entend Christian Harberts régulièrement. Une fois, passe encore. Mais répétée à longueur d’année, ça finit par user. Alors il laisse glisser. Ce coureur adepte du barefoot depuis quinze ans ne s’arrête plus vraiment à ces réflexions convenues. Aujourd’hui, courir pieds nus fait partie de sa vie, et si les gens se retournent sur son passage lors de ses deux sorties hebdomadaires, ce n’est plus pour se moquer comme autrefois, mais plutôt par curiosité. « J’avais beaucoup de remarques, parfois même racistes, se souvient-il. Maintenant, on est loin des réactions du début. L’autre jour, une dame s’est inquiétée pour mon cœur, elle voulait savoir si je faisais des tests régulièrement, mais elle était ouverte avec le fait que je cours pieds nus. C’est beaucoup plus représentatif des échanges que j’ai aujourd’hui. Peut-être que le Covid est passé par là, qu’on est plus attentifs aux besoins du corps, je ne sais pas. »

Ce qui le fait forcément sourire, en revanche, et qui n’a pas changé, c’est la réaction spontanée des enfants qui ne peuvent s’empêcher de crier : « Regarde, le monsieur court pieds nus ! », en s’adressant à l’adulte à leur côté. « Ça j’adore et ça m’arrive très souvent. Les enfants voient ce que les grandes personnes ne voient pas. Un enfant n’a pas le filtre et je trouve ça tellement beau. » Au fil du temps, Christian Harberts a fini par accepter de s’exposer au regard des autres, même si cela l’a un moment dérouté. « Le plus grand frein, c’était le regard des autres. Même en temps normal, je n’aime pas trop ça. Les premières semaines, je n’étais vraiment pas à l’aise. Et puis quelque chose s’est passé. Quand j’ai vu que ça fonctionnait et que c’était agréable, cette appréhension a disparu. Aujourd’hui, depuis longtemps, je me désintéresse complètement de ce que pensent les gens, sauf s’ils ont une question intéressante ».

Pour dépasser ces barrières, Christian Harberts a cherché à comprendre les réactions, même virulentes. « En général, je crois que ceux qui faisaient des remarques, sauf les méchantes, étaient surtout des personnes qui ne comprenaient pas bien l’intérêt de tout ça », indique-t-il.

| Le précurseur de la course pieds nus en France

Le besoin de trouver une solution à ses problèmes physiques l’a emporté sur la peur du regard des autres. En 2010, il franchit un immense pas en devenant même l’un des premiers ambassadeurs du barefoot en France. Tout naît de la découverte d’une communauté américaine qui parle de chaussures minimalistes et de course pieds nus, et l’appréciation de deux ouvrages qui ont changé sa vision de la course : Born to Run de Christopher McDougall et Initiation. « Une mise en situation à distance, uniquement par la lecture. Et après, je me suis lancé tout seul. J’ai commencé mon blog, ça marchait pas mal », retrace-t-il.

Au printemps 2011, Christian Harberts commence à transmettre sa passion au parc Suzanne Lenglen à travers des animations qui rencontrent rapidement une certaine renommée, puisqu’une dizaine de personnes se présentent à la première session, avant que le chiffre n’atteigne même la vingtaine. « C’est surprenant, car je ne sais pas s’il y avait d’autres tendances à l’époque, mais ça correspondait à quelque chose. Les écrits de ces fameux livres proposaient une alternative aux grosses chaussures de course qui blessaient les gens. C’était la première fois qu’on avait des pistes crédibles. Et je crois que ça a marqué certaines têtes, en France, aux États-Unis et ailleurs. »

En parallèle, il devient président de la section française du Barefoot Runners Society, une grande communauté américaine qui lui offre un ancrage et une légitimité. «C’était le lieu, bien plus que mon site, où on discutait, où on organisait courses et animations. Le centre névralgique de cette activité. Je n’avais jamais entendu parler du BRS avant de m’intéresser à mes propres animations ». Pendant cinq ans, ces rencontres bi-mensuelles servent à transmettre son savoir et à initier les curieux, jusqu’à l’apothéose de cette pratique, grandement relayée sur des émissions de télé, radio, etc. « Après, pour différentes raisons, la mode est un peu passée. Le public sportif est passé à autre chose », poursuit-il. Et personnellement, il pensait avoir fait le tour. « Je n’avais pas vraiment d’ambition par rapport à tout ce que je faisais. Ce n’était jamais une activité lucrative. Je n’ai jamais vraiment poussé plus loin que le bouche-à-oreille », explique-t-il.

La vie de famille et ses autres obligations l’ont alors poussé à s’éloigner doucement de la partie éducative et pédagogique du barefoot, jusqu’à ce qu’il se mette à créer un nouveau sport alliant course et ballon : le trailball. Le rôle de ce sport hybride, dont il est l’inventeur en  2013, était de rendre ses animations plus attractives, tout en continuant à permettent à ceux qui le souhaitaient de courir pieds nus ou avec des chaussures minimalistes. Il promeut aujourd’hui encore ce sport, par le biais d’initiations sur tous types de parcours, avec l’idée de rester accessible à tous.

| Des sensations nouvelles, reflet d’un retour aux sources

Christian Harberts se lance d’abord dans la course pieds nus pour tenter de remédier à des blessures récurrentes. « Mon objectif initial, c’était de courir en endurance, sans être blessé », confie-t-il. Mais très vite, il découvre le plaisir de courir les pieds à l’air libre. « Je ne m’y attendais pas. J’ai commencé à apprécier le fait de courir sans faire trop d’efforts, de sentir les saisons à travers mes pieds, la température du sol », précise cet Américain, né dans une ferme de Caroline du Nord et, très jeune, déjà toujours fourré dehors « Quelque part, je crois que j’avais besoin d’être rassuré par rapport à mon existence d’homme des villes, qui n’était pas ce que je connaissais quand j’étais petit. Sans vraiment le reconnaître, ça me manquait ». Ces sensations nouvelles lui rappellent sa jeunesse et sa volonté d’alors de devenir forestier, mais aussi ses années de cycliste amateur à l’ACBB, interrompues vers la quarantaine. « Je n’ai pas renoncé à l’activité en extérieur quand j’ai arrêté le vélo. J’étais motivé, sans doute, par l’envie de retrouver une activité en pleine nature. »

| Un corps transformé et façonné par cette pratique

Certains muscles sont sollicités différemment, comme les mollets, « plus prononcés que ceux de coureurs chaussés avec amorti », suppose Christian Harberts, mais également les 26 muscles des pieds, voûtes plantaires incluses. Au début, ses pieds lui paraissaient un peu raides, pas douloureux, mais tendus pendant un jour ou deux quand il marchait. Avec le temps, il a observé une transformation impressionnante : ses pieds étaient devenus « très musclés », selon son podologue. « Pendant trois ans, chaque année, après tous les marathons, on refaisait un point et on voyait la progression. Il n’avait jamais vu quelque chose comme ça : un pied à la fois plus large, plus musclé, avec des arches beaucoup plus prononcées, qui jouent un rôle dans le stockage et la restitution des forces ». De son expérience, Christian Harberts constate que la musculature des jambes et des pieds se développe bien plus que chez les coureurs « standards ».

« J’ai commencé à apprécier le fait de courir sans faire trop d’efforts, de sentir les saisons à travers mes pieds, la température du sol . »

Christian Harberts

| Une approche ancrée dans sa vie

Des années plus tard, Christian Harberts reste un coureur barefoot, sortant par tous les temps. « Le froid, le chaud, ça ne me pose aucun problème. C’est une certaine connexion avec la nature », assure-t-il. Fini les grandes distances et les objectifs minutieusement planifiés : il court désormais pour son bien-être personnel, souvent pieds nus ou chaussé de sandales. « Je cours une à deux fois pieds nus, juste pour le plaisir, pour ma santé. Et deux autres fois en chaussures minimalistes, très primitives, qui me conviennent bien. Cette pratique est toujours profondément ancrée, puisque je fais entre 50 et 80 km par semaine. Hier, j’ai fait 16 km, et parfois bien plus, juste pour le fun ».

La course inscrite à son agenda depuis plus de dix ans, qu’il ne manquerait pour rien au monde, reste la Corrida d’Issy-les-Moulineaux, un rendez-vous incontournable pour le local. « Je continue à pratiquer comme si l’aspect communautaire ne comptait plus. Ça me surprend et m’émerveille qu’on me retrouve. Mais ça fait longtemps que je le fais juste pour moi  ». Cet Isséen prouve qu’adopter sa propre méthode et suivre ses règles permet de courir longtemps, sans blessures, même avec les années.

| Une pratique vouée à stagner ?

Très en vogue autour de 2014-2016 en France, la course pieds nus semble avoir perdu de son aura aujourd’hui. Une raison difficile à expliquer, mais sûrement liée à un facteur social. « Sur la population des coureurs, la pratique purement pieds nus reste vraiment marginale. Ce sont souvent des personnes qui ne cherchent pas à se faire connaître et s’y sont mis pour différentes raisons », observe Christian Harberts, lucide sur sa discipline.

Il reste prudent sur l’avenir de cette approche : « Limpulsion que je constate est très relative. On n’aura jamais une majorité de coureurs en chaussures minimalistes. Cela reste une pratique initiée, mais accessible à plus de personnes que la course pieds nus. » Cet été au Mont Saint-Michel, le docteur Gwendal Galesne-Herceg, médecin généraliste près de Rennes, a organisé une sortie pieds nus qui a rassemblé une vingtaine de participants. Une exception ? Peut-être, car tout est une question de formatage. À moins qu’une certaine vision permette de sortir des sentiers battus et des idées reçues. « C’est une approche qu’on n’apprend pas à l’école. Il faut que l’envie vienne, soit par une influence familiale, soit plus tard, en tant qu’adulte, pour des raisons de santé ou par conviction personnelle. »

Même si seuls quelques milliers de coureurs pieds nus existent en France, Christian Harberts voit cela comme une opportunité de réfléchir à la façon de courir et aux effets parfois néfastes des chaussures très amorties. « Plus largement, si cela pousse à profiter de l’activité physique, loisir ou pas, c’est déjà ça de gagné ». Il note toutefois un léger regain d’intérêt, notamment via des groupes Facebook autour de la course minimaliste. « La course pieds nus est exigeante. Tout le monde peut marcher ou courir pieds nus, mais le faire sur la durée ne correspond pas à la majorité des sportifs. Je suis content que l’on continue à s’y intéresser ». Aux États-Unis, à l’époque de la BRS, entre 2009 et 2022, il existait des sections dans presque tous les États, mais très peu étaient vraiment actives. Récemment, la pratique a suscité de l’intérêt en Asie et en Europe de l’Est, et pourrait éclore dans d’autres régions du monde, même si elle reste largement « de niche ».

Christian Harberts court désormais pieds nus pour le simple plaisir que cela lui procure. Pourtant, il demeure l’homme qui a popularisé cette pratique en France, grâce à son blog, ses initiations et ses interventions publiques. Passionné, il reste conscient que ce phénomène est minoritaire, marginal, et étroitement lié à des motivations personnelles ou culturelles.

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Sabine LOEB
Journaliste

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