Les limites du corps humain sur marathon : « On n’a pas tout exploré et on n’est pas à l’abri de surprises », confie Guillaume Millet

Marathon
24/04/2025 18:08

Alors que les records tombent les uns après les autres sur la distance mythique du marathon, une question persiste : jusqu’où le corps humain peut-il aller ? Pour y répondre, Guillaume Millet, physiologiste du sport et professeur à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, apporte un regard éclairé. Ancien ultra-traileur et pionnier dans l’étude des limites de l’endurance, il décrypte les facteurs qui façonnent la performance moderne : innovations technologiques, préparation mentale, stratégies d’allure… Mais au-delà des chronos et des podiums, ce chercheur passionné nous rappelle combien l’activité physique reste avant tout un formidable levier de santé.

Entretien avec Guillaume Millet dont la vision dépasse les simples chiffres et performances.


| En quoi consiste la physiologie et que peut-elle apporter dans la course aux records et à toujours plus de performance ?

La physiologie de l’exercice, c’est l’étude du fonctionnement du corps humain en mouvement. Nous étudions les modifications aiguës du corps lorsqu’il bouge et les adaptations chroniques avec l’entraînement. Nous essayons de comprendre comment il réagit. On étudie en quelque sorte les limites du corps. La physiologie permet par exemple de renseigner les athlètes et les entraîneurs sur l’évaluation des déterminants de la performance.

| Quels sont les critères pour courir plus vite et plus longtemps ?

Ce n’est pas possible, c’est soit l’un soit l’autre. En effet, courir vite ou courir longtemps requiert des qualités diamétralement opposées. Si l’on s’attarde sur la vitesse au marathon, il faut une grosse VO2max (donc un gros cœur et du sang riche en globules rouges) et être capable de tenir un haut pourcentage de cette VO2max sur la distance. En d’autres termes, il faut être doté d’un gros moteur et le maintenir à haut régime pendant 42,195 km. Il est aussi important, pour rester dans la métaphore automobile, d’avoir une faible consommation d’essence, c’est-à-dire être économe en énergie. Pour le coureur on parle de coût énergétique, qui va dépendre, notamment de facteurs biomécaniques et de l’équipement.

« Il y a et il y aura toujours des progrès et chaque paramètre est optimisé et scruté dans le but d’améliorer les performances.  »

Guillaume Millet

| Est-ce que les hommes et les femmes sont sur le même plan d’égalité ?

Non, la raison principale étant que les femmes ont une VO2max inférieure à celle des hommes. Les meilleures femmes ne vont jamais battre les meilleurs hommes. A cela s’ajoute que les femmes, et même les plus minces, ont toujours un taux de masse plus élevé que les hommes les plus minces. Sur marathon, l’élite féminine ne pourra jamais dépasser l’élite masculine, ce qui n’empêche pas les femmes de se rapprocher des hommes lorsque la distance augmente.

| En 2019 à Vienne, Eliud Kipchoge réalise l’exploit de passer sous les deux heures au marathon (1h59’40). Sans les aides extérieures (circuit fermé, lièvres), aurait-il pu établir ce record ?

Non, car le drafting (la préparation) dont il a bénéficié était vraiment optimal et soigné. Il était très réfléchi car il était entouré de lièvres qui lui coupaient du vent et il se faisait ravitailler à l’aide d’un vélo donc il ne perdait pas de temps à ralentir aux ravitaillements. On estime que tout ce dispositif lui a fait largement gagner plus des 20 secondes qui le séparent des 2 heures.

| Les athlètes africains ont-ils davantage de prédispositions physiques pour courir plus vite ?

C’est un sujet encore débattu au sein de ma profession. Ils dominent de manière outrageuse sur le monde du marathon. Il y a, à mon sens, déjà un aspect culturel. En Afrique, l’athlétisme a une place primordiale. Les athlètes sont considérés là-bas comme les “Zidane” en Hexagone. Cet aspect-là fait qu’ils s’entraînent davantage. J’ai du mal à croire qu’il n’y ait pas de prédisposition physique. Ces athlètes ont des coûts énergétiques bas et leurs tailles petites et longilignes avec des masses musculaires souvent faibles. L’altitude aussi pourrait jouer en leur faveur, même si c’est un élément qui n’a pas été prouvé. C’est donc un ensemble de choses, sans oublier le dopage, qui pourrait malheureusement aussi expliquer en partie cette domination.

| Aujourd’hui, peut-on encore agir sur le matériel, la nutrition, etc. pour espérer voir de nouveaux records ?

On n’a pas tout exploré et on n’est pas à l’abri de surprises. Prenez la question des chaussures, qui aurait dit il y a 10 ans que l’on pourrait gagner autant grâce à ces super shoes.. Finalement Nike a sorti ses Vaporfly 4 avec une nouvelle plaque en fibre de carbone et surtout un nouveau matériau et une nouvelle forme. Demain, il est certain que nous allons avoir encore de meilleures chaussures. Côté nutrition, c’est pareil. Il existe sur le marché des gels énergétiques qui permettent de consommer plus de glucides par heure. Il y a et il y aura toujours des progrès et chaque paramètre est optimisé et scruté dans le but d’améliorer les performances. Evidemment chaque seconde devient de plus en plus difficile à gagner mais les chronos continueront à baisser. Le grand sujet du moment dans le marathon est la durabilité ou la résilience. En d’autres termes, comment fait-on pour pouvoir soutenir un plus haut pourcentage de sa VO2max sur le marathon et comment fait-on pour dégrader le moins possible son coût énergétique avec la fatigue.

| Doit-on se réjouir de vouloir être dans cette course aux records permanente ?

C’est une question philosophique qui à mon avis n’est pas si tranchée. Si l’on regarde d’un point de vue de la quête des records, du toujours plus que l’on observe dans notre société de consommation, je trouve que cela n’a pas de sens. En revanche, si on l’aborde par le prisme des progrès que cela apporte au plus grand nombre, le discours est un peu différent. En effet, dans la course aux records, lorsque l’on travaille sur l’amélioration de certains paramètres, cela peut servir la recherche médicale. Tout ce qu’on l’on fait en termes d’optimisation de l’entraînement peut servir aux malades qui doivent aussi pratiquer une activité physique pour être en meilleure santé. En ce sens, la quête aux records est utile. Enfin, à titre individuel, pour certains athlètes, la quête aux records est l’accession à un certain statut social, à des primes qui permettent de faire vivre des familles. Peut-on reprocher cela ?

| Y a-t-il des risques justement de vouloir à tout prix courir toujours plus vite et plus longtemps ?

Oui, le sport de haut niveau n’est pas ce qu’il y a de mieux pour être en bonne santé physique et mentale. Pour être en santé optimale, il faut faire beaucoup de sport, ou plutôt beaucoup d’activité physique, jusqu’à 2 heures par jour. La chasse aux records, c’est autre chose, on parle de 1% de la population qui peuvent s’entraîner 5 à 6 heures par jour. Mais rappelons-nous que le risque de ne rien faire est beaucoup plus grand que celui de faire trop de sport.

| Sur quels dossiers êtes-vous actuellement impliqué ?

Mes travaux, ainsi que ceux de mon équipe, portent sur la fatigue des patients et comment l’activité physique permet de lutter contre cette fatigue, même si ça parait contre-intuitif. En ce qui concerne la course à pied, nous étudions les comparaisons entre l’état de fatigue engendré par le trail running et le marathon. En parallèle, le grand projet qui m’anime s’intitule “0 to 100” et sera lancé d’ici à cet été. Il s’agit de recruter 20 femmes et 20 hommes sédentaires et de les entraîner pour les emmener en 18 mois à prendre le départ de la CCC de l’UTMB (« Courmayeur-Champex-Chamonix », 100 km, 6050 m de D+),. L’objectif, en suivant leur transformation physique et mentale, étant de démontrer que la pratique sportive permet d’être en bien meilleure santé. Le casting devrait débuter à l’automne. En ce moment, on cherche des partenaires pour boucler notre budget.


Les travaux de Guillaume Millet ne se contentent pas de repousser les frontières de la performance sportive, ils ouvrent également de nouvelles perspectives pour la santé de tous. Entre optimisation des entraînements, recherches sur la fatigue et projets innovants comme « 0 to 100 », il démontre que la quête de performance peut servir à améliorer le bien-être global, tant pour les athlètes d’élite que pour les individus sédentaires. Un message fort qui prouve que la recherche en physiologie ne se limite pas aux records, mais participe aussi à la santé publique et au progrès de chacun.

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