Enquête : Les nouveaux accros du running : pourquoi ils commencent… et ne s’arrêtent plus ?
Autrefois, courir quelques mètres pour attraper le bus suffisait à votre dose d’effort. Aujourd’hui, vous enchaînez les entraînements et les courses, fier d’être devenu un coureur régulier. Mais avez-vous déjà réfléchi à ce qui vous pousse vraiment à courir, et jusqu’où ? Derrière la passion, se cache parfois une habitude bien ancrée, voire une dépendance. Marathons.com s’est penché sur les raisons profondes qui nous font chausser les baskets.
✓ Décryptage avec les témoignages de trois nouveaux « accrocs » du running, ainsi que l’éclairage d’un médecin du sport et ultra-traileur, expert à La Clinique du Coureur, une référence mondiale en prévention et traitement des blessures en course à pied.
Dans cet article, le terme « accrocs » est employé de manière légèrement excessive. Il ne s’agit pas ici d’aborder la bigorexie, désignant la dépendance à l’activité physique, mais de parler de personnes courant depuis plusieurs années, pas nécessairement tous les jours, qui ne peuvent s’en passer.
Vous n’étiez pas particulièrement enthousiaste à l’idée de vous entraîner pour la fameuse séance de 3×500 mètres au lycée. Pas vraiment plus convaincu en entendant vos amis s’extasier sur le plaisir procuré par leur dernier fractionné. Courir quelques mètres pour attraper le bus représentait votre footing de l’année. Mais un jour, l’envie vous a pris de sortir pour courir. Que ce soit sous l’influence d’un proche ou dans l’idée d’adopter une meilleure hygiène de vie, peu importe, les raisons varient, et elles vous sont propres. Maintenant vous avez passé le cap. Vous n’êtes plus simplement un « jogger du dimanche ». Vous êtes finisher de plusieurs courses sur route, régulier dans votre pratique. Mais vous êtes-vous déjà demandé si votre fréquence d’entraînement n’était pas un peu trop élevée ? Et d’où vous vient cette pratique routinière ? Si oui, tant mieux : vous avez peut-être déjà exploré l’origine de ce lien et analysé votre rapport à la course à pied, celle qui rythme votre quotidien, vous anime et vous fait sentir vivant, parfois puissant. Si non, c’est le moment idéal pour s’y pencher.
| On a cru à une « mode » passagère du running, mais c’était un mouvement plus profond
Lancé dans la course par un ami déjà pratiquant, par un groupe de collègues se lançant un défi, ou simplement par envie de « se bouger » et d’alléger son esprit, peu importe la raison, une fois qu’on entre dans la sphère du running, difficile d’en sortir…
Dans son ouvrage Les Enfants d’Achille et de Nike, la sociologue Martine Segalen se penche sur la question épineuse de la « mode » de la course à pied. On pourrait croire que les débutants vont se lasser très vite, lever le pied puis s’arrêter, par flemme, par ennui, ou par besoin de nouveauté ailleurs. Lorsque l’euphorie des débuts retombe, la progression devient plus lente et la routine s’installe.
« De la course à pied, on disait dans les années 1970 que ce serait un phénomène de mode, une passade sans lendemain comme le hula-hoop ou l’engouement pour les pin’s. Quelle erreur ! Plus de participants ! Plus de kilomètres ! Multiplication des épreuves, allongement des distances, accroissement du nombre des coureurs. Dans les années 1990, le phénomène de la course à pied ordinaire n’a rien perdu de son élan initial, associant aspect festif et sportif », remarque-t-elle dans le chapitre « Des courses populaires pour des coureurs ordinaires. » Et elle a vu juste, l’ampleur de ce phénomène n’a cessé de croître, pour le plus grand bonheur des néophytes, ravis de découvrir cet univers.
Aujourd’hui, on parle clairement de phénomène, voire d’un mouvement frénétique du running popularisé sur les réseaux sociaux. La mode, par définition, ne dure qu’un temps. Selon le Larousse, elle désigne une « manière de vivre, de se comporter, propre à une époque, à un pays ». Le phénomène, lui, s’installe dans la durée. C’est un « fait observé, en particulier dans son déroulement ou comme manifestation de quelque chose d’autre ». Il s’agit d’ « une construction sociale de notre XXe siècle finissant », écrit Martine Segalen en 1994.

| La condition physique et la santé comme point de départ
L’un des principaux moteurs du running, c’est tout simplement la santé. Se bouger pour aller mieux. Les injonctions à « pratiquer une activité physique » ne datent pas d’hier, mais elles résonnent aujourd’hui différemment. Peut-être parce que les réseaux sociaux les amplifient, ou parce que l’époque nous pousse à mieux écouter notre corps. Préserver son hygiène de vie, prendre soin de soi par le mouvement sont des notions désormais bien ancrées. Tant mieux, au vu des recommandations de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire), qui préconise 30 minutes d’activité cardio cinq fois par semaine, du renforcement musculaire une à deux fois, et quelques séances d’assouplissement pour compléter.
Du fait de toutes ces conseils, les gens se doivent de se mettre au sport. « Si je ne fais rien de la journée, mais que je vais courir, ça me déculpabilise », livre Léonore, une banlieusarde plutôt fêtarde. La course à pied lui a permis de trouver un équilibre, entre sa vie de jeune adulte et son bien-être physique, qui, au passage, lui permet de garder la ligne. La course aide à reprendre le contrôle sur son corps. Colin a très vite vu des progrès physiques. Il s’est senti fondre, tandis que ses muscles se sont vivifiés. Julie, une amie, raconte « Ça lui faisait énormément de bien, il est devenu hyper sportif d’un coup et il est vachement mieux dans sa peau ». Les deux dimensions relatives à la santé, l’amélioration de la condition physique et le soin apporté à l’apparence corporelle, sont donc intimement liées et, pour beaucoup, c’est la course à pied qui les réconcilie.
| Une progression fulgurante dès les débuts
En plus des effets visibles sur le corps, la course récompense vite l’effort. Comme le décrit l’autrice et coureuse, Martine Segalen « L’amour que le coureur voue à la course, la course le lui rend bien, car on peut progresser très vite », notamment chez les débutants. Passer de cinq minutes de course, à quinze en une semaine a un véritable impact, sentir ses progrès donne envie de faire encore mieux.
Rapidement, les débutants apprennent à maîtriser leur respiration et la durée et l’allure de leurs sorties s’améliorent. Tous se rejoignent sur ce constat. « Au début, j’avais assez mal à la poitrine et au dos, et plus je courais, moins j’avais mal. J’ai progressé très vite, c’était très satisfaisant. Ça a joué, parce qu’être capable de si peu au départ, puis d’autant peu de temps après, ça m’a rendu fière de moi », confie Julie, coureuse depuis un an. Léonore complète « Au début, c’est super stimulant, parce que tu n’as aucune idée de quelle distance tu peux courir. Plus tu le fais, plus tu cours longtemps et plus vite ». Une sortie est donc toujours gratifiante. Elle peut même faire naître un sentiment de puissance à certains moments « Ça fait du bien au moral de finir une séance et de s’être senti fort. »
« Le coureur est toujours heureux au bout de son périple, dont il a su doser la longueur et la vitesse en fonction de ses projets. Un sport aimable donc, qui risque de prendre le coureur dans ses rets. Car ces progrès s’acquièrent au prix de la fidélité, il faut courir souvent, et il faut courir de plus en plus long, surtout lorsque les grandes épreuves se profilent, 20 km, semi-marathons, marathons », précise Martine Segalen, au chapitre « Le coureur, un être social et sociable ». Une observation partagée par le Docteur Schmitt, qui a récemment reçu un jeune patient pratiquant la course depuis trois mois et déjà à 40 kilomètres par semaine. « Au début, il y a une vraie marge de progression. Les gens qui y prennent goût avancent trop vite. »
Il met en garde contre les effets potentiellement nuisibles d’une progression trop rapide « C’est, pour moi, le plus gros des problèmes. Souvent, ce sont des personnes déjà en forme, qui voient très vite les bénéfices de la course à pied et se fixent des objectifs trop importants, trop ambitieux, trop rapidement. Je vois souvent ‘Ça fait sept mois que je cours, et je vise un marathon.’ Ils font le marathon, puis viennent me voir parce qu’ils sont blessés. Et c’est là que ça pêche un peu ». Il faut laisser le temps au corps de s’adapter (cartilage, tendons, muscles compris). À défaut, les blessures surviennent vite : périostites, aponévroses plantaires ou syndromes fémoro-patellaires. « Ce sont globalement les trois pathologies que l’on retrouve le plus souvent chez le coureur débutant. »

| Jusqu’à l’accomplissement de son premier 10 km, puis son premier semi…
Une fois un cap passé, les débutants se retrouvent très vite projetés dans l’engrenage des courses sur route chronométrées. « Une course, c’est à la fois l’action de courir et une compétition sur une distance, un parcours donné. De la course à la course, le pas est vite franchi », dit Martine Segalen. Parfois, franchir le pas s’effectue par l’intercession d’un copain, d’un parent, ou d’un collègue. « J’ai commencé à courir parce qu’à mon travail, ils voulaient faire un 10 km, en pensant rater un jour de taf (rires). Je me suis dit que j’allais commencer à m’entraîner, parce que sinon, j’allais me taper l’affiche », lâche Léonore, sans rien cacher. Enchaîner ensuite sur la préparation d’un semi l’a aidée à maintenir le rythme. Une course en entraînant une autre, c’est souvent ce qui permet de garder la motivation, même en plein hiver. « S’aligner au départ d’une course, le dossard sur le ventre, résume et intègre l’effort d’entraînement qui a précédé », décortique Martine Segalen.
Parfois, c’est une motivation plus solitaire qui pousse à acheter son premier dossard. Le montagnard Colin, lui, rêvait de se mettre au trail, ce sport local qui lui paraissait complexe aux premiers abords. Il a donc commencé par des courses sur route pour se construire une bonne condition physique. « J’étais randonneur, mais je ressentais le besoin de parcourir plus de kilomètres. Je pensais, à terme, abandonner la route pour me consacrer exclusivement au trail. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à préparer des objectifs sur route, en allant plus loin, plus vite, et j’ai finalement décidé de continuer », raconte celui qui compte déjà une dizaine de 10 km à son actif.
Ces coureurs dits « ordinaires », selon Martine Segalen, participent à des courses « populaires », au sens où elles rassemblent des milliers de participants. Ils ne cherchent pas prioritairement à « faire un temps » ou à gagner. Pour eux, « la raison de la course est dans la course elle-même. Ceci n’exclut d’ailleurs nullement l’idée de compétition, de défi lancé à soi-même ou à ses camarades ». Car, dans bien des cas, « c’est le projet de la compétition lui-même qui est à l’origine de la constitution du groupe ».
Observer les autres courir peut éveiller l’envie de s’y mettre à son tour. Martine Segalen l’explique très bien : « Les courses populaires prétendent avoir une vertu pédagogique, tout le monde peut faire comme nous. Mais il faut toujours se lancer, affronter l’épreuve du premier kilomètre, puis des cinq. Une fois la première expérience physique réalisée, il est d’autant plus aisé de reprendre l’exercice à des périodicités rapprochées que ce mouvement individuel s’inscrit dans un puissant mouvement collectif ». Autrement dit, une fois qu’on s’est lancé et malgré la souffrance de l’effort, on veut recommencer. Pour faire mieux, bien sûr, mais aussi parce qu’on est porté par cette émulation collective.
| Un aspect communautaire indéniable

La course unit. Des communautés de runners fleurissent par centaines ces derniers temps, et tout invite à les rejoindre. Même sans courir dans un collectif, la course reste un sport partagé : entre amis, en famille ou même avec des inconnus rencontrés lors d’événements. « Chaque course est une occasion de sociabilité ; chaque coureur qui se lance sur l’asphalte participe profondément à l’essence de la ville, il en est des « anonymes », mais aussi acteurs et spectateurs d’un spectacle sportif moderne, pèlerin véloce du XXIe siècle, porté par la joie de la participation et stimulé par l’énergie qui se communique dans la chaîne des coureurs », théorise Martine Segalen.
Ses propos trouvent un écho dans le témoignage de Léonore « J’adore l’ambiance des courses, c’est vraiment incroyable ! » Encore imprégnée de son expérience à Rome avec ses collègues, cette néophyte adhère pleinement à l’esprit festif qui entoure ces événements. Au-delà de l’ambiance, c’est surtout au sein de son petit groupe que cette compétition restera un souvenir marquant.
« Dans la course, il y a un aspect communautaire hyper fort. C’est agréable de faire partie d’une communauté. En rencontrant des inconnus, on échange sur la course, on apprend beaucoup des autres là-dessus », admet Julie. Faire partie de cette communauté en tant que finisher de sa première course est à la fois excitant et devenu presque banal, au regard des centaines de milliers de coureurs qui s’élancent chaque année. La multiplication des courses tend à banaliser cette expérience, pourtant digne d’un « exploit » pour certains.
« Je dis toujours que l’homme n’a pas de limite. Il y a des gens qui peuvent courir 500 kilomètres, mais il faut juste être à l’écoute de son corps. »
Yann Schmitt, médecin spécialisé en course à pied
| Le shoot de bien-être qui galvanise
La sécrétion d’endorphines (qui réduit la douleur et diffuse une sensation de bien-être pendant l’effort), de dopamine (quand on atteint un objectif ou anticipe une récompense) et de sérotonine (qui structure le quotidien et agit après l’effort en stabilisant l’humeur) joue un rôle déterminant dans l’envie de continuer à courir. Puisqu’on se sent mieux après un footing, on se dit que demain, on aura envie d’y retourner… Même si, parfois, il faut un certain courage pour s’extraire de chez soi et courir sous la pluie, dans la nuit ou dans le froid. « La course est alors un événement mental et non plus seulement physique, elle se court en permanence dans la tête de celui qui a pris la décision d’une nouvelle sortie, d’un nouvel entraînement », déclare Guillaume Le Blanc dans le chapitre « Addict » de son essai philosophique Courir : Méditations métaphysiques.
Léonore court depuis près d’un an et a déjà bouclé son premier semi-marathon en 1h52, le 19 octobre. « Ça m’énervait les gens qui me disaient “tu vas voir, c’est une addiction”, mais en vrai, ça me fait me sentir vraiment bien. Ça décrasse vraiment après le travail ou une soirée. » La jeune Francilienne n’est pas la seule à ressentir ce bien-être post-run. Colin, installé près d’Annecy, a intégré la course à pied à son emploi du temps depuis deux ou trois ans et s’y tient, car « ce sont des moments d’évasion, de repos mental et de détente ».
Peu importe où l’on vit, prendre un bol d’air frais fait toujours du bien, surtout après une journée passée enfermé dans un bureau. « J’aime beaucoup la nature, tout ce qui est sport dehors, je trouve ça trop cool », affirme Léonore, encore en pleine découverte de cette discipline. « Je passe beaucoup plus de temps en montagne, je vois plus de paysages », s’anime Colin, heureux de profiter davantage de son cadre de vie.
Selon un sondage de la Fédération Française d’Education Physique et de Gymnastique Volontaire (FFEPGV), réalisé cette année avec Ipsos France, 91 % des Français estiment que la pratique d’un sport a un impact positif sur le bien-être mental. Martine Segalen résume bien cet équilibre entre dimension physique et psychologique : « Qu’il soit pratiqué à dose raisonnable ou immodérée, ce sport en vient à bouleverser la culture quotidienne, s’inscrivant dans un projet qui vise à améliorer le bien-être, à casser la monotonie du train-train quotidien. »
| Une pratique accessible à tous et partout
La course à pied a cet avantage d’être l’un des sports les plus accessibles qui soient, tant par la préparation qu’elle demande (enfiler une paire de baskets et une tenue adaptée suffit), que par les conditions dans lesquelles elle se pratique : seul ou à plusieurs, à l’heure souhaitée, sur la durée désirée, sans avoir besoin de se rendre dans une infrastructure particulière.
Lors de ses consultations, les patients de Yann Schmitt, du sport installé à Strasbourg, racontent souvent s’être lancés parce que « ça prend moins de temps que d’autres activités ». Il illustre : « Si on veut courir 20 minutes, on prend ses baskets, on descend, on est dans la rue, on court 20 minutes, contrairement à la natation où il faut se déplacer, se changer, nager, puis se doucher. »

Même d’un point de vue financier, la course reste une pratique abordable en termes d’équipement. « On peut aussi bien être un trailer qui va dépenser 1000 euros dans une montre, avoir des chaussures à 300 euros et un ensemble à 1500 euros sur lui, qu’être quelqu’un qui court avec le tee-shirt de sport que tout le monde a, un short basique et une paire de baskets achetée chez Decathlon ou Intersport », souligne le médecin, également ultra-traileur.
Cette discipline convient à tout niveau et tout âge, d’où son très large succès. C’est d’ailleurs ainsi que Martine Segalen conclut son essai sociologique et anthropologique « Interâge, interclasse, la course autorise les lourds, les lents, les plus-si-jeunes à dire ce qu’ils sont. Récupérant leur corps, ils récupèrent la ville, la conquièrent un moment sur les voitures. Ils la subvertissent, la réhumanisent grâce à l’activité anthropologique la plus ancienne. »
| « S’écouter » pour maintenir sa pratique
Tous ces éléments font qu’aujourd’hui, malgré l’investissement et le temps consacrés à la course à pied, cette pratique incite à s’y tenir. Les arguments qui nous freinaient auparavant, « c’est répétitif, pas fun, pas fait pour tout le monde » n’ont plus court. Désormais, ce sont l’accessibilité, le bien-être physique et mental, l’aspect communautaire et l’envie de toujours progresser qui attirent et permettent à chacun de s’épanouir dans cette pratique. Que certains aient simplement besoin de respirer l’air frais de la nature ou que d’autres cherchent à terminer leur sortie en sueur, la liberté est totale.
Pour ces anciens débutants, il n’est plus question de s’accrocher, l’essentiel est désormais de prévenir les blessures, pour ne pas être contraints d’interrompre une activité entamée avec de bonnes intentions. Pour Léonore, prendre ses baskets est devenu « naturel », presque un réflexe dès qu’elle « squatte » le logement d’un proche. Colin, lui, ne se voit pas s’en passer, avec ses trois à quatre sorties par semaine. Julie, qui s’est mise à la course grâce à lui il y a un an, se sent mal quand elle ne court pas pendant cinq jours d’affilée. Blessée récemment, elle se ménage désormais davantage en alternant différents sports.
Courir est recommandé, et même quotidiennement, autorisé. Ce n’est pas un souci pour Yann Schmitt, qui accompagne novices, comme confirmés dans leur pratique. « Les gens qui se bousillent la santé parce qu’ils courent tous les jours, c’est parce qu’ils qui ne s’écoutent pas. Ils vont commencer à être très fatigués, ou ils vont à avoir des douleurs, et ils vont courir encore pareil. Forcément, on va aller vers des pathologies. Mais quelqu’un qui court tous les jours un peu, il n’y a aucun problème. Le corps réagit mieux à des sollicitations quotidiennes qu’à des grosses sollicitations occasionnelles ».
Stéphanie Gicquel, une ultrafondeuse qui contribue à la recherche, affirme que « courir ne comporte aucun risque si on le fait bien ». Ainsi, il vaut mieux courir tous les jours à petite dose, que deux fois par semaine avec de gros à-coups. « La santé prime », rappelle Docteur Schmitt, qui insiste sur la prévention auprès de ses nouveaux patients en quête de conseils pour bien courir. « Je ne leur donne pas une recette mais je leur donne vraiment une boîte à outils, grâce à laquelle ils connaissent les signaux d’alerte. »

Le danger de se blesser résulte d’une charge trop intense, d’un excès d’entrainements, d’objectifs trop ambitieux. Docteur Schmitt prône la progressivité « Souvent, au début, les gens, ils font plutôt du volume. Ils courent de plus en plus, parce qu’ils se rendent compte qu’ils peuvent courir des distances ou des heures plus importantes. Et je leur dis souvent qu’au début, ils risquent un peu de se griller les ailes. Il faut vraiment essayer de respecter la règle des 10%. C’est toujours la règle du lentement, mais sûrement ». Et préconise en parallèle du renforcement, car comme le dit l’ultrafondeuse, Stéphanie Gicquel, c’est une pratique qui doit « être accompagnée, sinon, ça peut être de la destruction ». Yann Schmitt explique que « c’est le renforcement musculaire qui fait beaucoup la différence entre les coureurs d’il y a 20 ans et de maintenant, même au niveau professionnel. Quelqu’un qui va faire beaucoup de musculation du membre inférieur, plus une musculation un peu générale, c’est sûr qu’il va faire beaucoup moins de blessures que quelqu’un d’autre. »
Et surtout, le principal est « de s’écouter ». Il ne lésine pas sur ce conseil, le principal à respecter pour éviter les pépins physiques et aller loin. « Je dis toujours que l’homme n’a pas de limite. Il y a des gens qui peuvent courir 500 kilomètres, mais il faut juste être à l’écoute de son corps. » Il vaut mieux réduire une séance, une sortie, qu’aggraver son cas. « Si vous voyez que vous avez fait une séance, que vous n’aviez eu mal pendant ou que le lendemain, vous vous réveillez, vous avez mal quelque part dont vous n’aviez pas la veille, c’est que vous avez fait trop et c’est qu’il faut redescendre d’une ou deux étapes. Il faut se dire que le lendemain, on doit être dans un état physique et de forme capable de refaire le même entrainement ». S’écouter donc, et connaître son corps. Comme c’est le cas de Stéphanie, détentrice du record de France de 24 heures sur piste qui raconte souffrir encore de séquelles liées à une fracture de la rotule. « Ça ne me conduit pas à arrêter la course parce que je sais exactement quels sont les massages et les étirements que je dois faire. Quand tu connais super bien ton corps, tu t’inquiètes moins. »
Beaucoup de mythes se sont construits dans les années 1990-2000 autour des risques de pratiquer la course à pied. « À un moment, elle était proscrite parce qu’on disait qu’il y avait un risque d’arthrose, des problèmes de dos, etc. Mais la machine s’est totalement inversée. Par rapport au dos, on sait que les gens qui courent renforcent leurs disques vertébraux, qui sont de meilleure qualité. Ça ralentit aussi l’apparition de l’arthrose », indique Yann Schmitt.
Stéphanie Gicquel ajoute : « On dit souvent que la course est mauvaise pour les articulations, mais elle permet de lutter contre l’ostéoporose, notamment chez les femmes en master. Courir sur route apprend à se redresser et à avoir une bonne rétroversion du bassin. Cela apporte beaucoup pour le placement du corps, et même dans la vie quotidienne. » Aujourd’hui, la pratique n’est donc plus du tout contre-indiquée. Il suffit de l’adapter, par exemple en modifiant sa façon de courir ou en ajustant l’entraînement « Il faut toujours encourager le patient, ne pas lui dire, ‘c’est fini, il ne faut plus courir’. Sinon, les vrais passionnés bloquent. »
Ils ont enfilé leurs chaussures de running pour se vider la tête, se défouler ou simplement voir ce que ça faisait. Et ils n’ont plus arrêté. Parce qu’au fil des foulées, la course est devenue bien plus qu’un sport. Une habitude, un repère, parfois même une petite addiction assumée. Elle apaise autant qu’elle bouscule, rassemble autant qu’elle isole. À condition de savoir lever le pied quand il faut. Car courir, ce n’est pas seulement aller plus vite ou plus loin, c’est apprendre à s’écouter, à respirer, à se sentir vivant.
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Sabine LOEB
Journaliste