Handisport, trans et non-binaires : repenser le marathon pour tous
Si courir est universel, pourquoi certaines personnes sont encore exclues de nombreuses compétitions ? Codifiée depuis des décennies, la course à pied tente tant bien que mal de s’ouvrir. Mais entre handisport, transidentités et non-binarité, l’intégration reste un combat permanent.
Sur le papier, le marathon a tout pour représenter l’égalité parfaite. Un bitume, une ligne de départ, une arrivée, et entre les deux, le même effort partagé par des milliers de corps différents. Pourtant, derrière cette image universelle, une réalité demeure : l’épreuve mythique de 42,195 km continue d’exclure. Les athlètes handisport restent souvent confinés aux Jeux paralympiques, tandis que les coureurs transgenres et non-binaires se heurtent à des règlements binaires ou à des débats interminables sur la testostérone. Et pourtant, courir devrait suffire.
La course à pied n’évolue pas dans une bulle. Elle agit comme un miroir des tensions et des fractures de la société. Intégrer les fauteuils, reconnaître les identités trans ou ouvrir une catégorie non-binaire bouscule forcément les habitudes. Mais plus elle se fait connaître, plus l’inclusion devient naturelle. « Plus on est visibles, plus la société nous acceptera facilement, puisque ça deviendra normalisé », insiste Mélanie Perrin, présidente des Front Runners de Paris, une association de coureurs LGBTQIA+. Certaines courses l’ont compris. À New York, le marathon a ouvert une catégorie non-binaire officielle en 2021, remportée par Cal Calamia, un professeur et coureur trans. À San Francisco, Mimi Hensel expliquait après avoir pris part à la course : « Ce n’est pas une raison de courir, mais c’est une façon d’y aller sans me trahir ». Ces initiatives, encore marginales, montrent que l’inclusion n’est pas une utopie mais une pratique possible.
| Handisport : l’élan paralympique qui peine à s’imposer ailleurs
On pensait que les Jeux paralympiques de Paris allaient tout changer dans notre pays. Les images d’athlètes héroïques, la médiatisation, la promesse d’un héritage durable… Mais en dehors de ces rendez-vous planétaires, la place accordée aux athlètes handisport dans les marathons reste limitée. Les catégories existent parfois, mais elles sont symboliques, comme si les fauteuils ou les prothèses gênaient l’organisation.
« Un handicapé, c’est un valide qui s’ignore. Et un valide, c’est un handicapé qui s’ignore. »
Géraud Paillot, marathonien atteint d’une sclérose en plaques
Aux États-Unis, Boston ou Chicago intègrent pleinement les athlètes en fauteuil avec des départs spécifiques et une vraie reconnaissance médiatique. En France, malgré quelques efforts, beaucoup reste à inventer. Géraud Paillot, marathonien paraplégique mais presque comme tout le monde, appelle à sortir du regard de l’exception pour construire un modèle commun. « L’inclusion, c’est d’être au maximum sur le même parcours ». L’athlète souffrant de sclérose en plaques, qui a bouclé plusieurs marathons en exosquelette, insiste : « Chaque défi que je fais, quasiment, on me dit : “Ce n’est pas possible”. Et à chaque fois, je réponds : “Tiens, t’as envie de m’aider, dis-moi comment on peut le rendre possible” ». Son témoignage rappelle que le handicap ne doit pas définir une identité sportive, mais simplement composer avec elle. « Un handicapé, c’est un valide qui s’ignore. Et un valide, c’est un handicapé qui s’ignore », philosophe celui qui a organisé fin août le premier marathon solidaire du Mont Saint-Michel avec son association Aventure Hustive.
| Le retour des tests de féminité : un pas en arrière
Mais l’inclusion ne se joue pas seulement autour du handicap. Une autre bataille, tout aussi brûlante, agite le monde de la course à pied et plus largement de l’athlétisme : celle des identités de genre. Car pendant que certains athlètes en fauteuil peinent encore à être reconnus à leur juste valeur, d’autres se voient questionnés, contrôlés, parfois même exclus, au nom de leur biologie supposée. Le débat autour des athlètes trans et intersexes s’est durci avec les décisions de World Athletics. Depuis 2023, certaines athlètes féminines au taux de testostérone jugé trop élevé doivent se soumettre à un traitement médical ou se réorienter sur d’autres distances.
Un retour en arrière lors de tests de féminité (interdits en France) utilisés pour les Mondiaux d’athlétisme 2025 à Tokyo, dénoncé par de nombreuses voix. « Le retour des tests de féminité par World Athletics est un scandale : on retombe dans les années 60. C’est de la transphobie et de l’intersexophobie », tranche Hélène Germain, coprésidente de la Fédération Sportive LGBT+. Halba Diouf, sprinteuse transgenre, incarne ce combat. Qui part de loin. « Aujourd’hui, l’athlétisme n’est pas un espace inclusif. Beaucoup d’athlètes trans arrêtent, par peur d’être exclues », martèle-t-elle.
« Avant d’être une athlète transgenre, je suis une athlète. »
Halba Diouf, athlète tricolore
Bien qu’ayant réalisé les minima olympiques, l’athlète originaire du Sénégal n’a été autorisée qu’à concourir au niveau départemental. Elle-même dénonce l’absurdité de ces contrôles. « Les tests de féminité, c’était dans les années 1960, ça a été banni, et là, j’ai l’impression qu’on retourne en arrière ». Plus encore, Halba Diouf pointe l’injustice ciblée : « En 2025, on fait encore des tests de féminité. Mais qu’est-ce qu’un corps légitime, déjà ? On se fixe constamment sur le corps des femmes. Pourquoi jamais sur celui des hommes ? »
Son témoignage résonne comme un cri de dignité. « Avant d’être une athlète transgenre, je suis une athlète. Point ». Et malgré les soupçons, elle insiste : « Mon taux de testostérone est inférieur à 0,10 nmol/L, plus bas que celui d’une femme cisgenre, et pourtant, on me soupçonne encore ». Ces politiques de contrôle, qui visent uniquement les femmes, renforcent un sentiment d’exclusion. « La performance sportive ne se résume pas à un chromosome ou à un taux de testostérone. Elle dépend d’un ensemble : origine sociale, environnement d’entraînement, coach, force mentale, physiologie », rappelle Mélanie Perrin.
| Les associations en première ligne
Face aux blocages institutionnels, les associations occupent un rôle moteur. La FSGL fédère aujourd’hui 59 associations et près de 9000 adhérents partout en France. « Notre mission numéro 1, c’est la pratique sportive pour toutes et tous, peu importe l’identité de genre, l’orientation sexuelle, le niveau, la condition physique ou l’état de santé », expliquent Hélène Germain et Alexandre M. Ansault, vice-président de la fédération. Cette dernière ne se limite pas au sport loisir : elle agit aussi dans les coulisses. « On travaille avec le ministère des Sports, mais aussi avec les mairies, les fédérations et d’autres institutions, pour faire évoluer les mentalités. Pour changer le sport, il faut d’abord passer par la sensibilisation, la formation, la pédagogie. »

La course de la Saint-Valentin organisée par les Front Runners de Paris illustre concrètement cette démarche. Plus de 1200 participants se partagent déjà trois catégories : hommes, femmes et non-binaires. « Quand une course arbore un drapeau arc-en-ciel, tout le monde comprend : ici, vous êtes les bienvenus », glisse Mélanie Perrin. Et ces événements inspirent. « Le TIP, les Eurogames ou les Gay Games montrent qu’un autre sport est possible : un sport où chacun s’autodétermine et choisit dans quelle catégorie concourir », poursuit Hélène Germain dont les enjeux de ces événements dépassent largement les podiums.
| Le sport comme moteur de transformation
Un point de vue partagé par Géraud Paillot, aimant également à rappeler qu’il se considère comme « un sportif de petits niveaux ». Pas de quête de gloire, juste l’envie de se faire plaisir, d’avancer, de fixer des objectifs et d’entraîner les autres dans son sillage. Ses défis parlent pour lui : boucler un marathon debout en exosquelette, organiser un défi collectif au Mont Saint-Michel, inspirer celles et ceux qui pensaient avoir tiré un trait sur l’effort physique. L’innovation technologique, loin d’être un gadget, ouvre des horizons insoupçonnés. « L’exosquelette permet de refaire des choses, de marcher avec des gens, de reprendre confiance dans le quotidien ». Partager une sortie avec des valides prend alors des allures de victoire intime.
« Si les fédérations ne s’adaptent pas, elles finiront par perdre des adhérents. Parce que la société, elle, évolue. »
Hélène Germain, coprésidente de la Fédération Sportive LGBT+
La résilience, ici, se construit pas à pas, en apprivoisant ses fragilités. « La technologie permet de faire des choses et va permettre de faire des choses incroyables », confiait-il avec un enthousiasme désarmant. Dans son regard, le marathon n’est plus seulement une course mais un symbole universel : un espace où le mental trace la ligne d’arrivée bien plus sûrement que le corps. « Sans gestion mentale, je ne serais pas allé au bout d’un marathon dans l’exosquelette ». Une philosophie qu’il résume d’un ton simple mais puissant : « Il faut rêver grand, il faut y croire. Je ne l’ai pas perdu. »
| Vers quel futur ?
Les marathons inclusifs n’existaient quasiment pas il y a dix ans. Aujourd’hui, une dizaine d’épreuves dans le monde ont franchi le pas, et la dynamique progresse. « On plante des graines, et peu à peu, ça pousse », résume Hélène Germain. Changer les catégories d’inscription, repenser les vestiaires, respecter les pronoms, reconnaître les athlètes handisport comme des compétiteurs à part entière… autant de gestes simples qui dessinent un futur plus ouvert. Et si les fédérations tardent à s’adapter, elles finiront par être dépassées, prévient Hélène Germain. « Si les fédérations ne s’adaptent pas, elles finiront par perdre des adhérents. Parce que la société, elle, évolue. »
Au fond, la demande des athlètes n’a rien de révolutionnaire. Ils ne réclament pas de traitement spécial, mais le droit de courir sans avoir à se justifier. Dossard sur le torse, sueur sur le front, souffle court, comme n’importe quel autre marathonien. L’image est simple : une ligne de départ, une ligne d’arrivée, et entre les deux, la diversité humaine qui s’exprime pleinement.
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Dorian VUILLET
Journaliste