Kouros, le premier GOAT

Runners Inspirants
27/09/2025 12:06

Nous vivons une période où les performances et les records se succèdent à une vitesse incroyable, notamment sur les longues distances. Dès les années 80, un homme a pourtant presque délimité les frontières de l’ultrafond. Toujours admiré par ses pairs, le Grec Yiannis Kouros a régné sur les courses d’endurance extrême durant trois décennies. Ses records témoignent d’une carrière hors norme qui inspire encore aujourd’hui une nouvelle génération d’athlètes, dont le Belge Matthieu Bonne.


Dans l’univers de l’ultra marathon, un nom revient toujours lorsqu’il s’agit d’évoquer les limites du corps humain : Yiannis Kouros. « Le Dieu courant », « Le Phidippide Moderne », « L’Inarrêtable ». Le natif de Tripoli a multiplié les surnoms tant il a régné sur la route. Durant sa carrière, Kouros a ainsi battu plus de 160 records du monde. C’est simple, chacune de ses nouvelles sorties étaient quasi synonyme de record mondial ! Et quelques-uns d’entre eux tiennent toujours. Quand on s’attarde sur les distances et les records en question, il est effectivement question d’un être hors du commun des mortels. Même le génial Kilian Jornet s’est cassé les dents sur l’un des records de Kouros lors d’une tentative en 2020. L’espagnol avait tenté d’accrocher à son immense palmarès le record du monde des 24h sur piste, détenu depuis 1997 par le géant grec. Depuis, Kouros a été dépassé sur ce record spécifique par Aleksandr Sorokin (319,61 km contre 303,506 km).

| Héritage et records : des chiffres qui défient le temps

Évoquer Kouros, c’est dérouler une liste vertigineuse de performances. À son apogée, l’athlète grec détenait presque tous les grands records de l’ultramarathon, du 100 km aux courses de plusieurs jours. Difficile de faire une liste exhaustive de ses exploits tellement ils sont nombreux mais on peut se pencher sur ceux qui sont encore valides : 

  • 48 heures sur piste : 473,495 km parcourus à Surgères, en France, en mai 1996. Un chiffre pour mieux réaliser la performance ? Le grec a tenu une allure moyenne de 10 km/h pendant deux jours, sans véritable repos! Ce record pourrait lui être “enlevé” très prochainement : le belge Mathieu Bonne a parcouru en juin dernier 485,099 kilomètres en l’espace de 48 heures lors des Mondiaux de la spécialité à Pabianice, en Pologne. Le nouveau record est en attente de validation.
    1 000 km sur piste : 5 jours, 16 heures et 17 minutes, réalisés en Australie en 1984
    1 000 miles : 10 jours, 10 heures et 30 minutes à New York en 1988

Des chiffres justes monumentaux… Ces performances sont si exigeantes qu’elles sont rarement tentées aujourd’hui. Elles exigent non seulement une endurance hors du commun, mais surtout un mental qui dépassent l’entendement. Illustration avec cette citation de Kouros : « Quand le corps s’effondre, c’est l’esprit qui doit prendre le relais. La douleur est une illusion. » Ses quatre victoires au Spartathlon (246 km entre Athènes et Sparte), qui lui ont offert son surnom “Le Phidippide Moderne”, sont restées gravées dans la mémoire collective. Chacune fut remportée avec une avance écrasante et un temps record, établissant Kouros comme la référence absolue de cette épreuve mythique. « Courir contre Kouros, c’était courir pour la deuxième place », résumait un de ses adversaires, l’Américain Joe Fejes, loin d’être un “rigolo” dans la discipline (il a lui-même un très joli palmarès).

| Kouros, poète stakhanoviste

Né à Tripoli, en Grèce, en 1956, Yiannis Kouros n’était pourtant pas prédestiné à devenir l’un des plus grands coureurs de son temps. Poète et musicien, il s’est d’abord exprimé à travers l’art avant de se tourner vers la course à pied. Vous pouvez d’ailleurs encore trouver des traces de sa musique sur son site officiel ! Kouros court son premier marathon à l’âge de vingt-et-un ans en 1977, avec un temps de 2h43’15. Ses temps n’ont ensuite cessé de s’améliorer jusqu’à atteindre 2h25’ en 1981. Yiannis a ainsi remporté le Marathon d’Athènes en 1981. En 1983, six ans après ses débuts sur la distance reine, le coureur grec avait terminé vingt-cinq marathons. La machine est en marche. Il s’aligne cette année-là sur le Spartathlon, une course de cette épreuve de 246 km ressuscitant la légende antique de Phidippidès. 45 coureurs sont au départ. Il ne se contente pas de la remporter : il pulvérise les pronostics des organisateurs en terminant en 21h53’42. En 1984, il la court en 20h25’. Son record restera inégalé jusqu’en 2023, lorsque son compatriote Fotis Zisimopoulos l’a enfin dépassé après 40 ans d’attente (19h55’09). Après ces premières exploits marquants sur le Spartathlon, il enchaîne les victoires et les records. Mais contrairement au marathon ou à l’athlétisme classique, l’ultrafond reste une niche à cette époque, les exploits de Kouros restent confidentiels pour le grand public. Qu’importe, cela n’empêche pas le Grec de bâtir une réputation quasi mystique : ses adversaires le décrivaient comme « inhumain », capable d’aligner des kilomètres avec une régularité robotique. À Colac, en Australie, il établit plusieurs de ses marques les plus emblématiques. À New York, il s’attaque aux distances les plus extrêmes, comme les 1 000 miles. Partout, il domine. « Il courait comme s’il venait d’une autre planète », confia le Français Jean-Gilles Boussiquet, organisateur des 48 heures de Surgères.

| Ses successeurs : Sorokin, Bonne et la nouvelle génération

Quarante ans après ses premiers exploits, la trace laissée par Kouros demeure indélébile. Mais une nouvelle génération d’ultramarathoniens s’est attaquée à son héritage. Dont l’emblématique Aleksandr Sorokin, un Lituanien ancien joueur de poker reconverti dans la course. Depuis 2017, il accumule les records : 100 km, 12 heures, 24 heures. En 2022, il a donc effacé l’un des « totems » de Kouros, le record des 24 heures, avec 319,6 km ! « Kouros a montré ce qui était possible. Sans lui, je n’aurais pas osé rêver à ces distances », déclarait Sorokin en hommage au grec après son exploit. En 2024, c’est au tour du Belge Matthieu Bonne de s’inscrire sur les traces du géant. Triathlète, il s’était déjà fait connaître par ses défis personnels, comme la traversée de la Manche à la nage ou un tour de Belgique en triathlon. À Policoro, en Italie, il a ainsi battu en 2024 le record du monde des 6 jours, franchissant la barre symbolique des 1045 km. « Battre un record de Kouros, c’est comme escalader l’Everest. Tu sais que tu ne seras jamais le premier à l’avoir fait, mais tu veux prouver que c’est encore possible », expliquait le belge à l’issue de cette performance. Ces nouveaux champions revendiquent leur filiation avec le maître. Mais leur approche diffère : là où Kouros se fiait à son mental et à son instinct, eux bénéficient de l’apport de la modernité en termes d’entraînement, de nutrition, de suivi… Cette différence fondamentale renforce encore l’aura du Grec : sans capteur, sans suivi GPS, sans apport scientifique, il a établi des repères que les champions actuels peinent encore à dépasser. Ses records extrêmes, comme les 1 000 km et 1 000 miles, restent intouchés et le demeureront sans doute longtemps. Comme l’a résumé l’Américain Scott Jurek, autre figure de l’ultrafond : « Nous courons tous dans l’ombre de Kouros. » L’ombre d’un géant.

Toujours en grande forme à 69 ans, Yiannis Kouros continue d’être un ambassadeur de sa passion, soutenant de nombreux ultramarathons. Et s’adonne encore à ses autres passions, la musique et la poésie, car pour lui, « la course est un art. Je ne cours pas pour gagner, mais pour m’exprimer. C’est comme écrire un poème. Chaque course est un poème différent. »

Un être définitivement à part.


Charles-Emmanuel PEAN
Journaliste

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