De l'activité sportive partagée dans l'enfance au cap de la pratique commune de la course à pied, il n'y a qu'un pas pour les jumeaux.

La gémellité : un atout en course à pied ? 

Marathon
05/09/2025 20:22

De l’activité sportive partagée dans l’enfance au cap de la pratique commune de la course à pied à l’âge adulte, il n’y a qu’un pas pour les jumeaux ou jumelles, né(e)s sous une même étoile, celle de les rendre prodige de la discipline ou pas. Une fois les caractéristiques décelées, il ne reste plus qu’à s’entraîner : ensemble, en s’éloignant parfois, mais toujours avec le même plaisir de se retrouver sur la ligne de départ, pour courir dans la foulée l’un de l’autre.


Non, vous n’avez pas rêvé : lorsque Michaël Gras franchit la ligne, quelques minutes plus tard, c’est son frère Damien Gras qui surgit à son tour dans la dernière ligne droite. Et si, par hasard, ils échangeaient leur place au classement, il serait bien difficile de s’en apercevoir. Être jumeaux et athlètes de haut niveau, c’est le quotidien des frères Gras, âgés de 33 ans. Mais ils ne sont pas les seuls à vivre leur passion en duo : Amélie et Carole Sinquin, 32 ans, partagent elles aussi le même attrait pour la discipline. Quand l’une brille sur marathon, l’autre se distingue sur 5 km. Focus sur un sport où la gémellité peut faire la différence… ou pas.

| Être deux pour progresser, se motiver, et performer : un véritable atout

Fonctionner en binôme, que ce soit “en couple”, c’est-à-dire en se sentant différent, mais avec un fonctionnement commun, ou “double”, en miroir en faisant tout pareil, présente de nombreux avantages, surtout dans un sport où la morphologie joue un rôle déterminant dans la performance. Dès leur plus jeune âge, les sœurs Sinquin ont enchaîné les activités sportives, toujours côte à côte. « On était un peu touche-à-tout. Tous les trimestres, on changeait d’activités », se souvient Amélie, l’ainée des deux soeurs. Très vite, l’athlétisme s’impose comme une évidence. « On a commencé par participer à de petites courses dans notre village. Lors de l’une d’elles, notre père nous a vues arriver dans le stade et il a trouvé qu’on avait une très belle foulée, car lui-même était un peu coureur ». À 10 ans, elles rejoignent le club de Pontivy, avant de rejoindre le lycée de Cesson-Sévigné en sport études, où l’une se consacre plutôt au 1500 m, tandis que l’autre se tourne vers le 800 m. « Ma sœur faisait du cross court, et moi plutôt du cross long. Elle n’aime pas trop dès qu’il y a des montées ou trop de dénivelé. »

Des similarités apparaissent avec les frères Gras, eux aussi plongés très tôt dans le sport, sans jamais se quitter. « On a toujours fait plus ou moins la même chose. Nos parents nous ont inscrits au foot vers l’âge de 7 ans », se remémore Michaël. Repérés par l’entraîneur d’athlétisme du club de Pessac AC, dont le fils jouait dans leur équipe, ils se révèlent sur les cross en benjamin. « Il a vu qu’on courait bien en pré-saison et surtout, qu’on aimait ça. Alors il nous a fait essayer les cross, et finalement, on gagnait assez facilement, sans trop d’entraînement ». Ils se démarquent néanmoins grâce à des appétences différentes : l’un étant plus 800-1500 m, l’autre davantage 3000 m. « Mais vraiment, ça se départageait… », tient à préciser Michaël.

Le partage des entraînements, chez les uns comme chez les autres, se révèle bénéfique. « Ça marchait bien de s’entraîner avec quelqu’un du même niveau. Au quotidien, ce n’était pas facile de trouver des partenaires qui nous correspondaient. Et si l’un ne sentait pas d’aller courir, fatigué ou gêné par une petite douleur, l’autre le motivait à y aller », explique Michaël. Amélie confirme en évoquant leurs retours chez leurs parents certains week-ends : « On était en internat, et quand on rentrait, on savait qu’on n’allait pas faire nos séances seules. On avait directement notre binôme, et c’était plus facile pour s’entraîner et se motiver. C’était une force ». Une force confirmée par Michaël : « Être jumeaux, ça nous a permis de s’entraider dans notre parcours professionnel et sportif. Dans tous nos choix de vie, le sport a été souvent priorisé. Je me souviens du semi de Thule, où l’on a fait la course côte à côte et on a passé la ligne d’arrivée ensemble au sprint, car on avait exactement le même niveau. »

| Une concurrence qui pousse vers le haut, mais ne doit pas devenir malsaine

À l’inverse, il arrivait que ce soit l’esprit de compétition qui prédomine. « C’est compliqué de passer la ligne main dans la main. On a envie de se départager. Sur les inter-régionaux de cross à Carcassonne, on avait beaucoup d’avance sur la concurrence, mais ça n’a pas empêché qu’on finisse au sprint. On est des compétiteurs entre nous avant tout, explique Michaël. Il y avait une rivalité, mais saine ». Même pendant les séances, la volonté de ne pas finir derrière les poussait à se dépasser. Positive pour progresser, certes. « Quand moi j’étais un peu devant à l’entraînement, il avait envie de faire les mêmes chrono que moi, donc il se donnait les moyens de les faire et ça nous poussait chacun vers le haut ». Mais négative, quand on pense aux blessures inévitables et que le corps atteint ses limites. « Le revers de la médaille, c’est qu’on a tendance à trop se comparer l’un à l’autre. Mon frère s’est souvent blessé à cause de ça. Il s’accrochait, il devait batailler un peu plus pour me suivre sur les séances d’entraînement, et pour pouvoir avoir les mêmes objectifs que moi. Il courait toujours un petit peu au-dessus de ses moyens, c’est donc arrivé fréquemment qu’il se blesse. »

À l’époque, les soeurs Sinquin passaient leur temps collées l’une à l’autre, à tel point qu’elles étaient parfois conduites à se comparer, ce qui provoquait chez la seconde une certaine frustration par rapport à la première. « Ça a été toujours un peu la gué-guerre sur les cross. Des fois, j’étais un peu frustrée, car mon père était fier de nous deux. Mais, je me disais qu’il l’était plus d’elle, parce qu’elle avait fait une meilleure place, confit-elle, avant d’ajouter consciente de la chance qu’elle a de partager ces moments avec sa soeur. Mais inconsciemment, je pense que ça aide, car ça motive de courir toutes les deux. » 

| Une séparation pour préserver une concurrence saine

Toute leur vie, autant sur le plan professionnel que sportif, ces paires de jumeaux ou jumelles seront amenées à évoluer ensemble, puis séparément. À se retrouver, puis à s’éloigner. Prendre son envol vis-à-vis de l’autre peut être la clé, comme l’a expérimenté Damien Gras à un moment donné. Michaël témoigne de cette séparation temporaire : « Il a essayé de changer d’entraîneur, pendant un an ou deux, pour avoir des entraînements différents de moi. Il avait perdu beaucoup de temps à cause des blessures, et donc, il ne pouvait pas reprendre le même entraînement. Enfin, il aurait pu, mais il aurait trop voulu se comparer. Finalement, son départ n’a pas forcément bien marché, parce que notre force, c’est de s’entraîner à deux ». Très vite disséminés, et de nouveau soudés, ils ont tout accompli à deux, jusqu’à devenir médecin rééducateur pour l’un, et anatomophatologiste pour l’autre.

Pour d’autres, la séparation arrive plus tard. À l’heure de créer une vie de famille, les chemins se séparent. Originaires du Morbihan, Amélie est restée vivre en Bretagne, à Rennes, tandis que Carole réside désormais en Normandie. L’une est infirmière de bloc, l’autre dentiste. La médecine les anime, mais pas que. La course à pied continue de les unir à distance. « Dès qu’elle vient à Rennes, qu’on est au même endroit ou qu’on rentre chez mes parents, j’essaye de lui envoyer ce que j’ai à faire comme séance, et on la fait ensemble, c’est plus facile », raconte Amélie.

Sans se concerter entre elles, Amélie et Carole se sont remises à la course en 2022. Lorsque l’une tombait enceinte et stoppait ses entraînements, l’autre s’y remettait définitivement. « Nos reprises se sont à peu près croisées. Avant ma grossesse, j’ai fait un premier 10 km sans connaître mes allures sur la distance. Je suis partie sur les bases de 40 min, et j’étais bien, alors j’ai fait 39’17 ». Même si elles restent attirées par des distances différentes, l’une privilégiant le court, notamment le 5 et le 10 km, l’autre le long, alternant trail, semi-marathon et marathon, et qu’elles habitent loin l’une de l’autre, lorsqu’elles ont l’opportunité de courir ensemble, elles la savourent. « Depuis qu’on a repris, on n’a jamais eu l’occasion de refaire une course ensemble. On va faire le semi-marathon d’Amsterdam en octobre. Je suis équipée par Mizuno et comme c’est eux qui sponsorisent la course, j’ai demandé qu’ils nous donnent un dossard chacune. L’idée, c’est qu’on s’habille pareil, vu qu’on se ressemble comme deux gouttes d’eau, et qu’on finisse main dans la main. On va se pousser et se relayer pour faire le meilleur chrono possible. C’est là qu’on voit vraiment l’avantage d’avoir des niveaux pareils ». Toutes deux gardent également en tête le rêve de leur père : gagner le marathon de Pontivy, à côté de leur village, main dans la main.

C’est la même dynamique qui semble rapprocher les frères Gras, licenciés à Alès Cévennes Athlétisme, qui traversent tous deux « une période un peu plus compliquée », liée à la vie d’adulte, et notamment, pour l’un, à une vie de famille assez prenante. Même s’ils vivent dans la même ville, à Clermont-Ferrand, les 10 km de Saint-Médard en mars, ont marqué leurs retrouvailles sur la ligne de départ : « Ces derniers temps, c’est vrai qu’on est souvent blessés par intermittence. Ces dernières années, on a rarement réussi à s’entraîner et faire des compétitions ensemble ». Damien s’est imposé devant son frère, impressionné et heureux de le voir revenir à ce niveau-là : « Il a terminé troisième et moi quatrième. J’étais un peu surpris de sa performance, car il s’entraîne très peu en ce moment. J’espérais que cela lui donne un regain de motivation pour reprendre sérieusement l’entraînement, mais apparemment, ce n’est pas vraiment le cas ». Damien reste cependant très attaché à la pratique sportive, qu’elle consiste à courir, rouler dans la boue, sur la route ou monter des cols. 

« On va faire le semi-marathon d’Amsterdam en octobre. Je suis équipée par Mizuno et comme c’est eux qui sponsorisent la course, j’ai demandé qu’ils nous donnent un dossard chacune. L’idée, c’est qu’on s’habille pareil, vu qu’on se ressemble comme deux gouttes d’eau, et qu’on finisse main dans la main.  »

Amélie Sinquin

| Un avantage lié à des gènes communs

Performer ensemble, le soeurs Sinquin le doivent à leur foulée similaire et à leur morphologie identique. « On a de bonnes prédispositions, on est grandes et fines, avec les mêmes gabarits. Être sorties de l’école d’athlétisme nous a donné des bases solides pour la course sur route : une bonne posture et un bon cardio ». Tout comme les frères Gras, qui ne lésinent pas sur le sujet : « Je pense qu’on a la morphologie qui convient bien, avec des prédispositions évidentes. On n’aurait pas pu atteindre ce niveau uniquement par l’entraînement, même si nous avons fait tout ce qu’il fallait pour mettre nos capacités en pratique. »

Au-delà des spécificités physiques indéniables propres aux couples de jumeaux ou jumelles, une connexion plus profonde et presque inexplicable semble se manifester chez les Bordelais, comme chez les Bretonnes. Michaël Gras fait part d’une étonnante observation : « Souvent, j’avais les mêmes douleurs que lui, un peu à retardement. Ça me permettait d’anticiper certaines blessures. Je pense qu’il y a une grande part physiologique ». Mais il n’est pas le seul à témoigner de ce genre de phénomène. « Le sentiment de télépathie traduit toujours une solidarité psychique très étroite chez les jumeaux identiques, explique René Zazzo, un psychologue clinicien et universitaire français, dans le livre « Les jumeaux, le couple et la personne ». « L’étonnante syntonie affective qu’on observe chez les jumeaux identiques beaucoup plus fréquemment et avec beaucoup plus de force que chez les autres jumeaux entraîne à des syncrétisme de langage, de pensée, de réactions corporelles, qui peuvent aller jusqu’au sentiment de phénomènes parapsychiques tels que la communication de pensée et la télépathie ». Lors d’un cross, Carole serait arrivée en pleurant, sentant qu’il était arrivé quelque chose à sa sœur. En effet, Amélie avait fait un malaise vagal, alors qu’ « elle avait senti en elle que quelque chose n’allait pas ». Cette histoire fait partie d’une parmi d’autres, où « l’inquiétude surgit sans savoir d’où elle vient. Parfois, on s’appelle, je lui demande : “Ça va ? Tu n’as rien ?” Pour moi, c’est un peu surnaturel ».

Être jumeaux n’est évidemment pas une condition indispensable pour performer en course à pied, même si évoluer en binôme comporte certains avantages physiques, physiologiques et mentaux. Pour certains, la pratique en duo peut même s’avérer contre-productive, car elle favorise les comparaisons. Pour tenir la cadence dans un esprit sain, Michaël Gras précise qu’il faut être « très fraternels, voire fusionnels », ce qui n’est pas le cas de tous les « couples » ou « doubles ». De l’extérieur, leurs similarités suscitent de l’intérêt, tant chez les marques qui suivent les athlètes que chez les spectateurs, car « l’expérience de la fascination qu’exercent les jumeaux sur ceux qui qui s’essaient à les penser » (dans l’ouvrage « Les jumeaux : 1 fois 2 ou 2 fois 1 ? » de Christian Robineau et Mireille Wojakowski) est profondément humaine.


Sabine LOEB
Journaliste

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