Réseaux sociaux : quel impact sur les coureurs débutants ?
Strava, Instagram, TikTok… La course à pied n’échappe plus à l’œil des algorithmes. À l’ère du sport connecté, les réseaux sociaux ne se contentent plus d’accompagner les coureurs : ils influencent leurs débuts, dictent leurs rythmes, réécrivent leurs motivations. Pour le meilleur… et parfois pour le burn-out.
À première vue, la course à pied est un sport plutôt simple. Un short, une paire de baskets, et une envie d’aller voir un peu plus loin. Mais en 2025, difficile de partir sans son appli préférée, sans sa montre GPS, sans envisager une petite story post-run. Et pour les coureurs débutants, fraîchement arrivés dans l’univers du running, cette couche numérique ajoute un paramètre inattendu : celui du regard des autres.
Dans un monde où l’on « partage » tout – son assiette, son humeur, ses pas quotidiens – la course à pied devient à son tour un contenu. Résultat : les réseaux sociaux influencent de plus en plus directement la manière dont on commence à courir. Ils motivent, orientent, connectent… mais peuvent aussi stresser, complexer, isoler. Comment les débutants vivent-ils cette exposition ? Quelle place prennent les likes dans leurs foulées ? Entre pression sociale et coup de boost collectif, immersion dans une pratique aussi connectée que fragmentée.
| Les réseaux comme déclic
Pour beaucoup de nouveaux coureurs, les réseaux ne sont pas un simple décor de fond : ils sont à l’origine même du déclic. Ce n’est pas un coach, une envie soudaine ou une résolution de Nouvel An qui les pousse à chausser leurs baskets, mais la vision récurrente d’un proche ou d’un influenceur qui enchaîne les runs dans leur fil d’actualité.
« Pendant le confinement, j’ai vu plein de gens poster leurs séances. Je me suis dit : si eux peuvent le faire, pourquoi pas moi ? », raconte Amel, 27 ans, community manager à Grenoble, qui ne pratiquait jusque-là aucun sport. Un an plus tard, elle a terminé son premier 10 km officiel, et documente elle-même ses sorties. « C’est devenu un cercle vertueux. Je poste, ça motive des copines, elles s’y mettent aussi, et ça me donne encore plus envie de continuer. »
Instagram et Strava ont ainsi remplacé, chez certains, les salles de sport ou les groupes d’amis comme déclencheur de pratique. Un effet domino assumé par les plateformes, qui mettent en avant les contenus liés au sport, à la progression, au dépassement de soi. Courir devient alors un acte partagé, valorisé, presque “socialement encouragé”.

« Au début, je postais chaque sortie, chaque petit progrès. Mais dès que je faisais un chrono moins bon, je n’osais plus rien publier. J’avais l’impression que les gens allaient me juger »
Clément, coureur en reconstruction
| L’effet miroir : courir pour les autres ?
Mais cette dynamique positive cache aussi une zone grise, où la course à pied commence à répondre à d’autres logiques : celles de la mise en scène, de la comparaison, voire de la performance sociale. Car une fois le premier run posté, difficile de revenir à une pratique plus discrète.
« Au début, je postais chaque sortie, chaque petit progrès. Mais dès que je faisais un chrono moins bon, je n’osais plus rien publier. J’avais l’impression que les gens allaient me juger », explique Clément, 34 ans, qui s’est remis à courir après dix ans sans sport. Derrière l’écran, le public est silencieux, mais omniprésent. Et ce regard – qu’il soit réel ou fantasmé – influence les choix : combien de kilomètres courir, à quel rythme, à quelle fréquence.
La comparaison devient inévitable. On observe les autres, on se positionne, on se juge. Même inconsciemment. « J’ai failli abandonner Strava tellement je me sentais nul. Mes potes faisaient des 10 km à 4’30/km, moi j’étais à 6’15 », souffle Lucas, 22 ans. Le plaisir de courir peut vite céder la place à une quête de légitimité numérique.
| Blessures, frustrations… et déconnexion salutaire
À force de vouloir suivre le rythme imposé par les autres – ou plutôt par ce qu’on imagine qu’ils attendent de nous – certains débutants vont trop loin, trop vite. La blessure guette, l’overdose n’est jamais loin. Pierre, 25 ans, en a fait l’expérience : « Je voulais absolument battre un segment Strava dans mon quartier. J’ai forcé comme un malade alors que j’étais encore au tout début. Résultat : périostite, arrêt de six semaines. » Comme lui, beaucoup découvrent que l’algorithme, lui, ne connaît pas les limites humaines. Il félicite chaque sortie, mais ne dit jamais quand il est temps de se reposer.
Paradoxalement, c’est souvent en se déconnectant que les coureurs retrouvent l’essentiel. « J’ai viré Strava pendant un mois. Je courais sans montre, juste avec une playlist. Ça m’a fait un bien fou », raconte Lucas. Sans retour immédiat, sans chiffres, sans regards extérieurs, la course redevient une activité intérieure. Et pour beaucoup, c’est une respiration nécessaire.
« J’ai posté que j’avais couru mon premier 6 km sans m’arrêter. J’ai reçu dix messages de filles qui débutaient aussi. On s’est retrouvées pour courir ensemble, et maintenant c’est notre rituel du dimanche matin »
Jade, membre d’un petit groupe de running à Lyon
| Une force collective quand elle est bien utilisée
Heureusement, les réseaux sociaux ne sont pas qu’une source de pression. Utilisés avec recul, ils peuvent devenir de vrais soutiens. Leurs capacités à créer des communautés, à mettre en lien des coureurs isolés, à favoriser l’entraide sont précieuses, notamment pour les débutants. Jade, Lyonnaise de 30 ans, l’a expérimenté : « J’ai posté que j’avais couru mon premier 6 km sans m’arrêter. J’ai reçu dix messages de filles qui débutaient aussi. On s’est retrouvées pour courir ensemble, et maintenant c’est notre rituel du dimanche matin. » Ces petits groupes, souvent informels, offrent une alternative aux clubs traditionnels : plus libres, plus accessibles, plus en phase avec les nouveaux modes de pratique.
Des comptes comme ceux de RunMotion, des clubs communautaires comme adidas Runners, ou des groupes locaux sur WhatsApp permettent aussi aux débutants de poser des questions, de partager leurs galères, de se sentir moins seuls. Quand la comparaison laisse place à la solidarité, le numérique devient un vrai tremplin.
| Courir pour soi, vraiment
Le vrai défi, au fond, est là : réussir à préserver un espace personnel dans une pratique hyper connectée. Courir sans avoir à le prouver. Être fier de ses progrès, même quand ils n’apparaissent pas dans le feed. Trouver du plaisir dans le simple fait de bouger, sans validation extérieure. La course à pied a cette magie : elle n’a besoin de rien, ou presque. Et si les réseaux peuvent être un point d’appui au début, ils ne doivent pas devenir une béquille permanente. « Maintenant, je publie seulement ce qui me rend vraiment fier. Le reste, c’est pour moi », résume Amel. Un équilibre pas toujours facile à trouver, mais qui change tout.
Les réseaux sociaux ne sont ni bons ni mauvais pour les coureurs débutants. Ils sont puissants. À la fois source de motivation, de découverte et de lien, mais aussi diffuseurs de normes, d’injonctions, de doutes. Ce qui compte, c’est l’usage qu’on en fait. Et la capacité à se recentrer sur ce que la course devrait toujours être : un moment à soi, sans pression, sans filtre, sans like obligatoire.