Running et photographie : l’art de saisir l’instant
28/04/2025 20:42A l’ère des réseaux sociaux et de la popularité croissante de la course à pied, la photographie spécialisée dans le running n’a jamais eu autant de succès. Qu’elle soit simplement figurative ou bien plus artistique avec des effets de filés, des cadrages atypiques, l’athlète est devenu le sujet de prédilection de ceux qui « écrivent avec la lumière ». Le coureur se retrouve inclus dans un environnement naturel ou urbain, seul ou en groupe, reconnaissable ou non, tel le sujet d’une œuvre qu’on admire. Alanis Duc et Tom Carrascosa, photographes/vidéastes de sport eux-même coureurs se sont exprimés sur leur fascination pour ce genre de photographie.
En 2025, 12,4 millions de Français déclarent courir, et 8 millions au moins une fois par semaine. Un engouement grandissant, visible également sur les réseaux sociaux comme Instagram. Si chausser les baskets est une passion, exposer sa pratique sur la toile l’est souvent tout autant. Histoire de se sentir intégré dans la grande communauté des coureurs. Certains photographes se sont aussi épris de ce monde si fascinants, au point d’en faire leur genre de prédilection. C’est le cas d’Alanis Duc (@alanis_pic_) et de Tom Carrascosa (@tomahawk.__), qui pratiquent en parallèle la course à pied à haut niveau.
« Je baigne dans la photo de sport depuis que je suis toute petite », commence Alanis Duc, photographe et vidéaste sportive freelance et traileuse de haut niveau notamment sélectionnée en 2019 aux Championnats d’Europe de course en montagne à Zermatt et plusieurs fois médaillée de bronze aux Championnats de France junior et espoir de trail/course en montagne. « Comme j’ai pratiqué plusieurs sports, j’ai commencé la photo naturellement parce que j’aimais bien ce truc de déclencher au bon moment et d’être au bon endroit, d’avoir la position parfaite du coureur par exemple. C’est ce qui m’a fait tout de suite accrocher », résume l’intéressée.
Pour Tom Carrascosa, photographe et vidéaste sportif et athlète demi-fondeur (14’43 sur 5000 m, 30’37 sur 10 km), ce qui lui plaît, c’est de « faire ressortir les idées que tu as dans la tête, et surtout, de faire passer des messages. Par l’image, on peut faire passer des messages ultra puissants, parce qu’on fige un instant qu’on ne reverra plus jamais. Même si la photo est la plus basique possible, on peut transpercer le cœur de la personne qui regarde, avec un message véhiculé par ce biais. C’est vraiment ce qui me motive et ce qui me pousse à être créatif », explique le passionné.
| L’œil avisé du photographe grâce à l’expérience du coureur
Alanis Duc confirme se sentir plus à l’aise avec la photographie sportive, parce qu’elle pratique, donc connaît le sport. La multiple médaille des Championnats de France de trail et de course en montagne pense avoir du mal à saisir le « bon geste » dans une pratique autre que la sienne. A l’inverse de la course à pied, où l’athlète sait exactement où se placer, à quel moment déclencher et quand saisir l’émotion. « Ce qui m’attire, c’est l’action, capturer le bon moment quand l’instant est rapide. Je perçois cela comme un jeu, où le but est d’avoir ce bon geste », détaille la spécialiste.
Tom Carrascosa trouve son sujet de prédilection dans la course à pied, sport qu’il pratique également à haut niveau. « Je pense que la course est le sport le plus difficile et le plus exigeant au monde, donc c’est intéressant que des photographes spécialistes le mettent en valeur », argumente l’athlète. Le photographe considère le running comme la pratique qui fait le plus ressortir d’émotions au travers des images. Aussi parce que cette activité fait partie intégrante de son quotidien.
Pour lui, ce monde est exempt de racisme, d’antisémitisme et ne rejette ni de sexe ni de religion. « Grâce aux photographes, l’humanité peut avoir un espoir d’aller mieux dans cette coquille de bien être qu’est la course à pied. »
| Capturer des images pour immortaliser les émotions
Au fil des années et des expériences sportives, Alanis Duc réalise qu’écrire avec la lumière relève bien plus qu’une simple distraction. « Je ne pensais pas ressentir autant d’émotions en prenant en photo une personne en course », relate la sportive qui se remémore ses images capturées de son frère jumeau Mattéo en route vers un titre de champion de France. « Ce n’est pas facile de photographier quelqu’un tout en étant émue. Parfois, on peut se faire emporter par les émotions, et ça, je l’ai découvert au fur et à mesure de ma carrière. C’est dans ces moments-là que je me répète de ne pas faillir à ma mission de photographe, même si je me sens submergée sur l’instant ».
Un constat que la jeune femme retrouve avec les échecs des coureurs. Photographier quelqu’un qui échoue, c’est aussi « beaucoup d’émotions, même si ce ne sont pas les mêmes. » La traileuse s’est souvent demandé si saisir une image d’un échec était nécessaire. « Ça l’est, parce que les moments de tristesse sont parfois les plus forts, avec plus de sens, et ce sont souvent les photos les plus marquantes. Ma vision de la photo évolue, avant, j’étais dans une démarche de recherche du bon geste, et maintenant, c’est plus la quête de l’émotion, au bon endroit, au bon moment. J’aime me dire que j’ai pris cette photo parce que ça avait un sens à ce moment précis », détaille Alanis Duc.
Cette dernière prend l’exemple de son image de l’arrivée de Sylvain Cachard à El Paso en 2022, quand le coureur coupe la ligne avec le titre de champion d’Europe de course en montagne en poche. « Tu sais que le souvenir qu’il va garder, c’est ta photo. J’éprouve un sentiment de fierté d’avoir la photo de son sacre, de ce sentiment incroyable d’être champion d’Europe et qu’il puisse en conserver un souvenir gravé. Je fais aussi de la photo pour rendre les gens heureux, heureux de garder un souvenir sportif, de prolonger un évènement. Quand ils seront face à l’image, ils se replongerons dans leurs souvenirs, peu importe si ceux-ci sont douloureux ou joyeux. Si j’y parviens, j’ai accompli mon travail de photographe. »
Pour Alanis Duc, la photographie, c’est avant tout l’un des meilleurs moyens de rendre un souvenir plus durable, d’un moment en particulier, puisqu’au fil du temps la mémoire estompe les détails. La photo, ou le meilleur moyen d’immortaliser en image un instant précis. « C’est là tout l’enjeu de trouver le moment le plus marquant d’une arrivée par exemple. Est-ce que c’est le moment pile où l’athlète franchit la ligne, juste avant ou juste après, ou alors au départ, sur une zone d’assistante, ou pendant un moment de doute en pleine montagne ? C’est à toi de décider du moment le plus représentatif et durable d’un souvenir d’un sportif. C’est ce que j’aime, c’est toujours un jeu mais un jeu qui a évolué, avec de nouvelles règles. »
| Photographier le coureur amateur, un livre ouvert d’histoires et de messages
Ce que Tom Carrascosa préfère, c’est suivre le tout venant, le coureur amateur, et pas forcément l’athlète international. « J’ai suivi des sportifs de très haut niveau, certains ont participé aux Jeux olympiques, mais ce n’est pas les expériences que je retiens particulièrement. » Quand la passion devient un métier à part entière, les émotions, les failles ont tendance à s’estomper et courir devient presque mécanique, au même titre qu’un travail ordinaire. D’où son attirance pour « Monsieur ou Madame Tout le Monde », celui ou celle qui « se défonce sur une course », par passion, par défi, pour une revanche sur des péripéties de la vie, pour se prouver qu’il ou elle en est capable d’accomplir des exploits.
« Ce qui me fait vibrer, c’est le cœur du peloton, où les gens se créent une vie parallèle avec leur sport, et mettre en valeur cela, c’est incroyable », sourit le philanthrope. Celui qui se nomme tomahawk._ sur les réseaux a souvent été touché par les ultra-trails, qui véhiculent beaucoup « d’histoires et de messages. »
La photographie, c’est son plaisir « très simple et personnel », empreint de subjectivité. Quand un spectateur adore une image, un autre peut la détester. « C’est ça la force de la photo », précise le coureur. « Mon boîtier, c’est une extension de moi-même, j’adore me promener avec, je prends des photos parce que c’est mon recueil, mes œillères, c’est une sphère de bien-être qui me protège et qui me permet de créer mes propres histoires. Un bon photographe, c’est celui qui arrive à mettre un pas de côté sur le sentier et qui propose une vision différente pour valoriser ce qui l’entoure. »
À la croisée du sport et de l’art, la photographie de running ne se contente pas de figer des gestes techniques : elle capture des instants de vie, d’effort, de dépassement de soi. Portée par des passionnés comme Alanis Duc et Tom Carrascosa, elle devient un puissant vecteur d’émotions, d’histoires et de souvenirs, offrant à chaque cliché un fragment d’éternité. Qu’il s’agisse de champions auréolés de succès ou de coureurs anonymes au cœur du peloton, tous ont en commun cette humanité vibrante que le photographe s’efforce d’immortaliser. Dans un monde où tout va vite, la course à pied et la photographie nous rappellent qu’il y a une beauté immense à savoir ralentir, observer et, surtout, ressentir.