Vredestein 20 km de Paris : Etienne Daguinos explose le compteur au pied de la Tour Eiffel
Vingt ans que le record des 20 km de Paris résistait aux meilleurs. Etienne Daguinos a balayé cette marque historique de 57’19 en franchissant la ligne en 56’18, survolant la 47e édition de la classique parisienne. Chez les femmes, la Kényane Mercy Chebwogen a tenté de se rapprocher du record mais a bloqué en 1h04’55, tandis que Manon Trapp, victorieuse l’an dernier, a pris la troisième marche du podium. Une démonstration de puissance, de régularité et de maîtrise, sous les yeux émerveillés de 33 000 coureurs réunis à quelques pas de la Tour Eiffel.
Dimanche, 9 heures tapantes. Le ciel d’octobre s’éclaircit doucement sur la Tour Eiffel, les feuilles commencent à jaunir, et le Pont d’Iéna vibrait déjà. Sous l’oeil avisé de Franck Leboeuf, ancien champion du monde 98 et parrain de l’événement par le biais de l’association « Le Bleuet de France », la première vague de handisport s’élançait, suivie des Élites et des milliers de participants des 20 km de Paris. Les semelles frappaient le bitume, le bruit résonnait dans l’air frais, tandis que les quais de Seine déroulaient leur tapis gris. L’Avenue Marceau rappelait dès le troisième kilomètre que la balade serait courte et exigeante. Les corps s’installent dans le rythme, les visages affichent concentration et détermination, et la ville, elle, joue son rôle : Arc de Triomphe, Bois de Boulogne, berges du fleuve… tout devient terrain de jeu pour un magicien de Talence se promenant parmi les 33 000 partants.
| Le récital solitaire d’Étienne Daguinos
20 ans de patience ont pris fin en 56’18. À une vitesse moyenne de plus de 21 km/h, une allure qui ferait pâlir plus d’un coureur amateur, le feu follet Etienne Daguinos (25 ans) prenait la tête dès le départ, sans jamais la rendre. Il a pourtant cru à la catastrophe en passant à quelques centimètres d’une voiture se décalant pour laisser passer un athlète handisport. Plus de peur que de mal pour celui dont la foulée ultra fluide et métronomique a très vite fait la différence afin de déloger le Kényan Evans Kiprop Cheruiyot et ses 57’19 installés tranquillement depuis 2005.
En passant la mi-parcours en 27’55, soit 45 secondes d’avance sur le temps de passage du précédent détenteur du record, le chrono des Vredestein 20 km de Paris était déjà sérieusement menacé. Une petite baisse de régime entre le 13e et le 14e kilomètre a brièvement vu le Girondin évoluer encore en trio avec son compatriote Emmanuel Roudolff-Levisse et l’Espagnol Saïd Mechaal, mais le fondeur, coaché par Emmanuelle Roux et Yannick Dupouy, a vite repris le dessus avant le dernier quart de course, distançant ses rivaux mètre après mètre. Après le 15e borne, la messe était dite.
« J’avais annoncé que je voulais courir vite, donc j’ai pris mes responsabilités, nous glissait le recordman de France du 10 km (27’04 à Lille en 2024) qui repartira avec la belle bagatelle méritée de 8000 euros (une prime de 3000 €, 2500 € attribués aux vainqueurs et 2500 € supplémentaires en tant que top 10 français). En partant sur les bases du record, je pensais me retrouver seul un peu plus tôt dans la course. J’ai mis un gros kick entre le 14e et le 15e km, mais ça m’a fait mal. Au 16e km, je me demandais comment j’allais aller au bout, surtout que ma préparation est axée sur le 5000 m. Je fais 56’18, alors que j’étais passé en 56’40 lors de mon record sur semi-marathon en moins d’une heure. Sans avoir préparé spécifiquement cette course, c’est de bon augure pour l’année prochaine. J’ai pris énormément de plaisir, avec une superbe ambiance tout au long du parcours. Un pur bonheur ! »
Sur les cinq derniers kilomètres, en solo, Etienne Daguinos s’était offert une véritable masterclass : technique, mental, et un chrono qui fera date. Roudolff-Levisse suit en 56’32, Mechaal complète le podium en 56’34, et Nicolas Navarro boucle, lui, le « Top Ten » en 59’22, solide pour celui qui visait surtout une grosse séance de rythme avant la fin de saison. Dire que les autres athlètes accompagnant Daguinos sur la boîte auraient pu s’approprier le nouveau record de l’épreuve en dit long sur le sérieux pris par les meilleurs athlètes du jour.
| Emmanuel Roudolff-Levisse se rode avant New-York
Derrière le show Daguinos, un Girondin en cachait un autre. Emmanuel Roudolff-Levisse a livré une course pleine, conscient du défi qui l’attendait. « On savait qu’Étienne voulait le record, et il a vite pris les devants. Son lièvre n’a pas tenu longtemps, alors il a tout fait seul », résumait-il, admiratif. En chasse avec Saïd Mechaal, le Français a tenu le rythme jusqu’au bout, à fond du premier au dernier kilomètre.
Satisfait de sa forme ascendante, Roudolff-Levisse voit dans cette performance une étape idéale avant le marathon de New York, prévu dans trois semaines. Avec près de 200 km hebdomadaires au compteur, il estime avoir trouvé la bonne dynamique : « Je me sens vraiment bien, j’espère arriver frais à New York. L’objectif, c’est un top 10. »
Battu par plus rapide sur 20 km, il ne s’en formalise pas : Daguinos reste avant tout un spécialiste de courte distance, à l’instar de Monsieur Cross. « Sur marathon, c’est un autre monde », glisse-t-il en souriant. Son endurance, patiemment construite au fil des saisons, continue de payer : même sans travail de vitesse pur, la régularité et le foncier lui permettent désormais de rivaliser sur tous les terrains.
| Mercy Chebwogen au-dessus du lot chez les femmes, Manon Trapp profite
Chez les femmes, la course a été plus nerveuse et indécise. La Kényane Mercy Chebwogen a patienté dans la première moitié avant de passer à l’offensive. Au 15ᵉ kilomètre, elle laisse derrière la Marocaine Kaoutar Farkoussi et la meilleure chance française Manon Trapp, s’envolant vers une victoire éclatante en 1h04’58, si près mais si loin de meilleur perf’ de l’histoire des 20 km de Paris (1h04’30). Farkoussi en terminait en 1h05’55, Trapp en 1h06’16.
Revenue du Japon sans grandes ambitions, simplement pour retrouver le plaisir de courir, la marathonienne des Mondiaux de Tokyo a savouré l’instant plus qu’elle n’a cherché la performance. « Je ne visais rien de particulier, j’avais juste envie de reprendre du rythme », confiait-elle après la course. Encore en phase de construction, avec à peine deux semaines de reprise et un gros volume d’entraînement dans les jambes, elle a préféré écouter ses sensations.
« Je cours au feeling, sans me mettre de pression », résumait la Savoyarde. Son mot d’ordre du week-end : le plaisir avant tout. L’ambiance, le soleil, les amis autour, tout participait à ce moment simple et sincère. En toile de fond, la préparation de nouveaux objectifs : des 10 km, quelques formats plus courts pour travailler la vitesse, avant de se projeter sur un marathon au printemps, probablement Séville ou Barcelone. « Pour durer, il faut rester légère dans la tête », conseillait-elle, sereine. Pas de calcul, pas de pronostic, juste le goût de l’effort partagé. Une parenthèse parisienne pour avancer doucement mais sûrement vers la suite.
Derrière, les Françaises affichent un niveau solide, Célia Tabet est 4e en 1h06’52, Inès Hamoudi 5e en 1h07’51, Mathilde Sénéchal 6e en 1h08’25, Latifa Mokhtari 7e en 1h08’28. Trois mois après avoir accouché, Anaïs Quemener s’est classée dans le top 10 (10e en 1h09’04).
| Une arrivée au sprint pour les athlète handisport fauteuil hommes
La course a aussi été l’occasion de mettre en avant les athlètes handisport, qui ont fait preuve d’une combativité impressionnante, avec un finish très serré. Notamment chez les hommes où Thibault Daurat (47’53) a gratté la victoire finale après une course particulièrement tactique, remportée d’un boyau (1 seconde) devant Julien Casoli. Le multiple vainqueur du Marathon de Paris et référence du circuit fauteuil expliquait avoir mené la majeure partie de la course, car personne ne voulait réellement prendre les commandes avant que la dynamique ne conduise à un sprint final. Le parcours, exigeant avec ses côtes et pavés, nécessitait une vigilance constante.
Même dans les derniers mètres, un petit ralentisseur a perturbé le sprint, permettant au futur vainqueur du jour de lui revenir dessus. « Je pense que j’étais plus fort dans le sprint, mais ce ralentisseur a un peu chamboulé la fin de course », confiait-il, saluant la bagarre et l’esprit sportif de son concurrent. Derrière, Lito King Anker (47’57) complétait le podium après une course solide et régulière, confirmant la montée en puissance du plateau européen dans la catégorie.
Chez les femmes, Shauna Bocquet (57’48) a presque mis 10 minutes à ses concurrentes dont la seconde à passer la ligne d’arrivée venait d’Italie (Rita Cuccura) et en a fini en 1h12’21. La Tricolore Nadège Monchalin (1h14’37) a, elle, décroché le bronze. 35 joëlettes ont également offert un spectacle aussi spectaculaire qu’inspirant.

Parmi eux, Clément Gass, détenteur du record du marathon en autonomie pour non-voyant, a bouclé ses 20 bornes en 1h38’01 dépassant largement son objectif initial de finir en moins de deux heures. « La concentration doit être au maximum pendant tout l’effort, nous soufflait l’Alsacien. Il y a aussi la canne à tenir. Je dois courir avec le bras en avant au niveau du nombril en balayant de gauche à droite, ce n’est pas naturel. La canne a aussi un poids, ce qui déséquilibre le corps et nécessite un effort particulier ». L’ingénieur de métier a couru équipé d’une canne, d’un GPS adapté et d’une synthèse vocale, suivant le tracé de la course avec précision. Des performances qui illustre à la fois le talent et la résilience des athlètes handisport et qui n’a laissé personne indifférent.
✔ Tous les résultats de l’édition 2025 du Vredestein 20 km de Paris.

Dorian VUILLET
Journaliste