Ces encouragements du public qu’on entend… mais qu’on n’écoute plus
24/06/2025 22:30Ils sont là, fidèles au poste, à crier sur les trottoirs, à taper dans leurs mains et à secouer leurs cloches en plastique. Les supporters des courses à pied sont précieux, leur présence est une bénédiction. Mais parfois, malgré toute leur bonne volonté, leurs encouragements ressemblent davantage à des phrases toutes faites qu’à un vrai carburant mental. “Allez les coureurs !”, « Plus que 10 km ! », « T’es beau quand tu cours ! » : ces classiques du bord de route méritaient bien un petit décryptage. Parce qu’entre maladresses, ironie involontaire et effets contre-productifs, il y a matière à sourire… ou à grimacer.
| Chapitre 1 – Le bingo de la bienveillance creuse
Dès qu’une course traverse un village, c’est le même rituel. Les gens sortent sur le pas de leur porte, prennent une tasse de café, un plaid sur les genoux, et dégainent les phrases toutes prêtes. Un « Allez les coureurs ! » pour tout le monde, balancé comme un flyer. Sauf que ce “allez” impersonnel finit par sonner creux. Il ne distingue personne, ne s’adresse à personne. C’est du générique, du formaté, du tiède.
Personne ne boude l’intention, mais au 17e “Allez” entendu en 200 mètres, il se passe quelque chose d’étrange : on devient sourd. Le cerveau le classe automatiquement dans la catégorie “bruit de fond”. Et la jambe gauche, elle, continue de râler.
| Chapitre 2 – Les faux amis du chrono
Parmi les plus grands classiques, il y a le fameux « Plus que 10 km ! » qu’on entend… au 32e kilomètre d’un marathon. L’auteur du message est tout sourire, persuadé d’avoir mis un petit coup de boost. Mais pour celui qui vient de passer 2h40 à s’user les jambes, ça ressemble plus à une blague douteuse.
D’abord parce que « 10 km », ça reste très long. Ensuite parce qu’à ce moment-là, le chrono ne veut plus rien dire. Ce n’est plus une affaire de distance, mais de survie. Et là, annoncer froidement ce qu’il reste revient un peu à dire “bon courage pour ton dernier quart d’heure de souffrance”. Sauf qu’il reste plutôt 45 minutes. Minimum.
| Chapitre 3 – L’humour qui pique un peu
Autre spécialité du supporter enthousiaste : la vanne bien sentie. Le « T’es beau quand tu cours !« , souvent balancé avec un petit sourire complice. Sur le papier, ça pourrait faire marrer. Dans les faits, c’est plus souvent un petit uppercut d’autodérision.
Car être “beau en courant”, c’est très relatif. Transpirant, cramoisi, à deux doigts de marcher, on n’est plus très proche de la photo finish de Kipchoge. Et cette tentative d’humour, qui veut alléger l’effort, finit parfois par alourdir l’ego. Dans les pires cas, elle sonne même comme une moquerie à peine déguisée. L’inverse de ce qu’on attend dans une zone de turbulences.
| Chapitre 4 – Le bon mot au bon moment
Alors, qu’est-ce qui fonctionne vraiment ? Ce n’est pas une science exacte, mais quelques formules simples ont le mérite d’exister. Un prénom crié, quand il est visible sur le dossard, change tout. Il réveille. Il redonne un peu d’identité dans le troupeau.
Autre option gagnante : l’encouragement réaliste. « T’as fait le plus dur », « Tiens bon, t’es dedans », « C’est propre ce que tu fais »… autant de petites phrases concrètes qui parlent au coureur, à ce moment précis. Parce qu’elles prennent en compte la situation, la difficulté, l’énergie déjà laissée sur le bitume. Elles ne cherchent pas à enjoliver, mais à soutenir.
| Chapitre 5 – L’art subtil d’être là sans faire trop de bruit
Le meilleur encouragement, parfois, c’est juste une présence. Un regard qui capte, un applaudissement franc, un geste de la main sans mot. L’empathie muette, c’est un langage universel qui passe mieux qu’un énième « Allez, allez ! » lancé au hasard.
Comme le disait un certain Muhammad Ali : « C’est pas la montagne qu’on conquiert, c’est soi-même. » Dans cette bataille intérieure qu’est souvent la course, les phrases creuses sont comme les gels de supermarché : elles promettent beaucoup, mais n’apportent pas grand-chose. Ce dont les coureurs ont besoin, c’est de vérité, de justesse. Pas de copier-coller sonores.
| Chapitre 6 – Supporter, c’est aussi courir… à sa façon
Car oui, être au bord de la route, c’est une forme d’engagement. Un marathon de patience, un semi de motivation. Et ça mérite du respect. Mais autant en faire quelque chose d’un peu plus sensible, d’un peu plus personnel. Un mot qui vise juste peut relancer une foulée. Un regard appuyé peut raviver une flamme. Et parfois, un simple “Je t’attends à l’arrivée” vaut tous les mégaphones du monde.
Alors, aux supporters de tous les trottoirs : Continuez d’être là, bruyants, sincères, un peu maladroits. Mais si possible, laissez “Plus que 10 km” au fond du tiroir. Et offrez plutôt un sourire vrai. C’est fou ce que ça peut changer, même au 39e km.

Dorian VUILLET
Journaliste